L'Attracteur     No. 6     Automne 1998 LA REVUE DE PHYSIQUE ISSN 1207-0203


Le CERN à la découverte de l'antimonde

En 1995, le Laboratoire Européen pour la Physique des Particules (le CERN) produisait pour la première fois des atomes d'antimatière, de l'anti-hydrogène.  Afin de continuer plus à fond la recherche dans ce domaine essentiel, le CERN a décidé de convertir son Collecteur d'antiprotons, celui-là même qui avait recueilli les premiers atomes d'anti-hydrogène, en une machine à tout faire, le décélérateur d'antiprotons (AD).  Cette machine sera capable de décélérer et de refroidir des antiprotons, mais surtout, elle pourra les éjecter à basse énergie (5,8 MeV) afin de pouvoir les étudier.

Schéma de production d'antiprotons au CERN
Schéma montrant la production d'antiprotons
Courtoisie du CERN et de Rolf Landua

La production d'anti-hydrogène est un phénomène assez complexe.  En voici une explication très simplifiée.  On envoie un jet de protons de très haute énergie (25 GeV) vers une cible, généralement des atomes de cuivre.  En frappant un noyau de la cible, les protons transforment une partie de leur énergie en masse (E=mc2) qui est convertie, si les conditions nécessaires sont réunies, en une paire de particules proton-antiproton.  Occasionnellement, un antiproton transmue une partie de son énergie en un couple électron-positron.  Il suffit ensuite que le positron ait une vitesse suffisamment grande pour s'unir avec l'antiproton et le tour est joué.  Il va sans dire que ce processus est très délicat, mais les chercheurs du CERN le maîtrisent assez bien.

Le programme du décélérateur d'antiprotons est constitué de trois pôles distincts.  Le premier est le décélérateur lui-même.  Il permettra de ramener l'énergie immense des antiprotons à un niveau auquel les autres instruments pourront travailler.  Ensuite, viennent deux systèmes de production et d'entreposage des anti-atomes.  Le premier s'appelle ATHENA (AnTiHydrogEN Appartus).  Il permettra de produire, d'entreposer et d'étudier des atomes d'anti-hydrogène à des températures de l'ordre de 1 K afin de pouvoir comparer ses niveaux d'énergie avec ceux de l'hydrogène avec une précision extrême.  Le deuxième projet s'appelle ATRAP.  Il s'agit d'un système d'entreposage qui emprisonnerait les antiprotons de moins de 30 keV grâce à un champ électrique et qui les refroidirait ensuite dans un nuage d'électrons refroidis.  Le troisième pôle du programme est un projet d'étude Nippo-Européen des techniques de conservation d'antiprotons à l'intérieur d'atomes d'hélium desquels on enlèverait un électron pour lui substituer un antiproton.  Cette partie du projet est encore à l'étude, mais si les résultats obtenus sont à la hauteur des attentes, le CERN sera capable de conserver des particules d'antimatière dix millions de fois plus longtemps qu'actuellement.

Le spectre énergétique de l'anti-hydrogène copie-t-il exactement celui de l'hydrogène?
Schéma comparatif montrant l'émission d'un atome d'anti-hydrogène à celui de l'hydrogéne
Courtoisie du CERN et de Rolf Landua
Le développement des techniques nécessaires pour une analyse de précision des atomes d'anti-hydrogène est une des priorités du CERN.  Les résultats obtenus lors de l'étude de l'anti-hydrogène pourraient être capitaux dans notre compréhension de l'univers.  Les physiciens veulent en particulier vérifier si l'antimatière est assujettie au principe de l'équivalence entre la masse gravitationnelle et inertielle et si la symétrie charge-parité-temps (CPT) est valide hors du cadre théorique.  Si les chercheurs découvrent que le comportement de l'anti-hydrogène diffère, même d'une manière infime, de celui de l'hydrogène ordinaire, ils devront complètement repenser ou abandonner la plupart des idées élaborées sur la symétrie entre les deux mondes.  Si, cependant, l'anti-hydrogène se comporte effectivement comme les scientifiques l'avaient prévu, ce sera une confirmation des théories proposées.  Les questions en jeu sont d'ordre fondamental.  Grâce à ces résultats, les physiciens auront une meilleure idée de la validité de leurs théories en analysant le comportement des antiparticules.  Qui sait, peut-être trouverons-nous la réponse au mystère de l'asymétrie entre la matière et l'antimatière dans l'univers ! En fait, peut-être saurons-nous ce qui a empêché l'annihilation de l'univers lors de sa création et les mécanismes qui lui ont permis d'exister…

a Loïc Franchomme-Fossé














Selon le modèle standard des particules élémentaires, à chaque type de particule correspond une antiparticule de charge opposée, mais par ailleurs identique (même masse, même spin, même temps de vie).  Quand une particule et son antiparticule se rencontrent, les deux s'annihilent en produisant des photons.  À l'origine, l'univers comportait autant de matière que d'antimatière et le tout aurait dû se convertir complètement en photons ... n'était-ce d'un infime déséquilibre dans la façon dont matière et antimatière interagissent, expliquant le surplus de matière sur l'antimatière qui s'est développé dans les premiers instants après le big bang et auquel nous sommes redevables de notre existence.













Dernière mise à jour : 12 août 1998
Mise en page par Gilbert Vachon

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