L'Attracteur     No. 6     Automne 1998 LA REVUE DE PHYSIQUE ISSN 1207-0203


Laurent Caron, un conservateur progressiste

Venant de Montréal, monsieur Caron est professeur au Département de physique de l'Université de Sherbrooke depuis 1967.  Ce brillant physicien, diplômé du Massachusetts Institute of Technology (MIT), membre fondateur du Centre de recherche en physique du solide (CRPS) et ancien président de l'Association canadienne de physique (ACP), est un personnage éclectique, plein d'idées et de gentillesse.  Après avoir discuté avec lui, on ne peut qu'être emballé par son esprit vif, son intelligence et ses qualités humaines.  Monsieur Caron se décrit comme un être foncièrement conservateur.  Par contre, souligne-t-il, j'ai la qualité de mon défaut, je suis assez innovateur.  Innovateur, certainement.  Et de plus d'un point de vue.

Épris de liberté et de connaissance, Laurent Caron se distingue par son dynamisme et son goût pour l'innovation.
Photographie de M. Caron à son bureau
Monsieur Caron n'est pas devenu physicien par goût.  Ce sont plutôt certains professeurs qui l'ont poussé à faire carrière en physique.  Je choisissais habituellement des sujets dans lesquels j'avais eu un cours qui s'était mal passé.  Après deux ans à l'école polytechnique, j'ai choisi de me spécialiser en génie physique.  Entre autres parce que l'électronique me fascinait, mais aussi parce que j'avais mal compris les concepts de l'électricité et que je voulais les saisir plus à fond.  C'est le même raisonnement qui a déterminé le sujet de maîtrise de M. Caron lors de ses études au MIT.  Ayant eu l'impression de ne pas assez avoir compris ses cours de physique du solide à la polytechnique, il s'est intéressé à l'étude des rayons X et du magnétisme dans les matériaux.  J'avais fait un laboratoire en physique du solide, et je l'avais raté.  En fait, j'avais réussi le cours, mais j'avais gardé l'impression de ne rien comprendre là-dedans.  J'ai donc fait mon travail de maîtrise en physique expérimentale du solide.  C'était la troisième fois lors de mes études que je restais vraiment sur mon appétit et il me semblait qu'il restait des choses à aller gratter

Et il les a grattées.  Après sa maîtrise expérimentale, M. Caron a obtenu un doctorat, théorique cette fois, sur les propriétés électroniques magnétiques.  Tout de suite en sortant du MIT, en 1967, il est venu travailler à l'Université de Sherbrooke.  À ce moment là, excusez-moi d'être un peu méchant, la physique du solide n'était pas très développée au Québec, se souvient-il.  Sherbrooke avait l'avantage d'être près de Boston [où se trouve le MIT].  Tous les étés, je partais à Boston pour travailler.  J'avais une grande liberté de ce côté-là.  En 1969, juste après la conquête de la Lune, il obtient une bourse de la NASA pour faire, comme il le dit si bien, de la théorie truc-machin à Boston.  Malheureusement, ou heureusement, le laboratoire de Boston a été fermé avant même qu'il commence à y travailler.  La rationalisation existait déjà à l'époque.  Il a donc eu le choix d'aller travailler où il voulait avec sa bourse.  Il a décidé d'aller travailler en Californie, au Jet Propulsion Lab.  Il nous raconte comment il a vécu son expérience.  La plus belle année de ma vie a été celle de ce postdoctorat en Californie.  J'avais la liberté de faire ce que je voulais, et en recherche et dans ma vie personnelle.  C'était l'époque des hippies, du flower-power.  J'ai beaucoup voyagé, j'avais le sentiment d'être totalement libre.  J'avais été en Californie pour l'environnement, mais le sujet d'étude s'est avéré tout aussi intéressant.  Il travaillait à ce moment à l'étude de l'hydrogène.  Il y avait des chercheurs qui avaient prédit l'existence d'hydrogène sous forme métallique au cœur de Jupiter et son travail constituait à vérifier théoriquement la possibilité de le retrouver effectivement.  J'étais pour ainsi dire un pionnier dans le domaine, souligne-t-il, puisque peu de gens avaient travaillé sur ce sujet.

De retour à Sherbrooke, M. Caron a accepté la direction du groupe de recherche en semi-conducteurs et diélectrique pour ensuite devenir le premier directeur du Centre de recherche en physique du solideC'est là que ma carrière d'administrateur a commencé, se rappelle-t-il.  Une carrière bien remplie, parfois même un peu trop.  Outre ces deux postes de direction occupés successivement, monsieur Caron a été Directeur du Département de physique de l'Université de Sherbrooke de 1979 à 1982 et de 1991 à 1992, en plus de s'impliquer activement au sein de l'ACP et d'en assurer la présidence en 1988.  C'était une belle expérience, même si c'était peut-être un peu trop, nous précise-t-il.  Ça m'intéressait de voir le milieu de la politique des sciences.  Le point le plus marquant de mon implication dans l'ACP, ça a été d'intégrer les jeunes dans l'Association.  On a réservé un siège pour les étudiants gradués au conseil d'administration afin qu'ils aient leur mot à dire.  Je me souviens aussi m'être occupé des olympiades de physique et de chimie.  Effectivement, à l'époque, c'était les chimistes qui s'occupaient des physiciens (ça n'avait pas de maudit bon sens, se souvient M. Caron) et il s'est affairé à trouver un professeur de physique qui s'occuperait des olympiades au Québec.

Comme professeur, M. Caron a toujours été mal à l'aise avec les cours magistraux.  Il a donc constamment essayé de trouver quelque chose qui sorte de la formule traditionnelle.  J'ai eu des expériences heureuses, des expériences malheureuses, avoue-t-il.  Ce qui m'a le plus satisfait, chose bizarre, c'est un cours que j'ai donné pour les ingénieurs.  J'avais vraiment l'impression de leur apprendre des choses, c'est ça qui était le fun.  Un autre cours que j'ai beaucoup aimé, c'est le cour de mécanique en première année.  Il faut leur apprendre (aux jeunes) l'ABC de la physique telle qu'elle doit être vue par un physicien.  Mais quand on parle d'enseignement avec Laurent Caron, il faut parler d'APP. 

L'APP, in extenso Apprentissage Par Problème, est une méthode d'enseignement qui vise à développer l'autonomie et l'esprit d'initiative chez les étudiants.  Un problème en APP est composé de cinq étapes.  Les étudiants prennent connaissance du problème et émettent des hypothèses.  Ensuite, il font des recherches chacun de leur côté afin de trouver des solutions.  Troisièmement, ils reviennent une semaine plus tard pour partager les résultats de leurs investigations.  Quatrièmement, ils discutent et synthétisent leurs conclusions.  Et finalement, ils font un retour sur l'ensemble du problème et procèdent à une auto-évaluation pour être certain d'avoir compris.  C'est un travail immense que de préparer ce cours, souligne M. Caron.  J'ai été le seul volontaire pour le faire.  Cependant, c'est un plaisir de le donner.  Ce qui est intéressant avec cette méthode-là, c'est que je peux aller chercher tout le monde.  J'ai vu des étudiants performer de façon admirable dans le cadre de l'APP alors que les autres professeurs me disaient qu'ils étaient nuls

En ce moment, monsieur Caron travaille sur les matériaux unidimensionnels comme les chaînes d'atomes.  Il utilise une méthode numérique de physique statistique qu'il a ramenée de Californie en 1993 et qu'il a développée pour pouvoir l'utiliser dans le cadre des vibrations atomiques (les phonons).  Ce que j'aime, c'est faire des choses, qui sont dures, que personne d'autre n'a faites, et essayer de trouver une façon de faire facile.  Une fois que j'ai fait ça, tourner la manivelle ne m'intéresse plus.  Alors il faut passer à autre chose que personne n'a fait.

Lorsqu'on demande à monsieur Caron quels sont ses intérêts en dehors de la physique, il y réfléchit plutôt deux fois qu'une.  Je pense toujours à la physique, avoue-t-il.  Après mûre réflexion, il finit par nous apprendre qu'il adore la campagne, la marche en forêt et le ski de fond.  Il est aussi un grand amateur d'art, particulièrement de la musique classique et des peintures impressionnistes.  Bien que son dynamisme nous fasse croire le contraire, M. Caron s'apprête à prendre sa retraite.  Il continuera cependant à enseigner et à faire un peu de recherche.  Mais surtout, il veut partir en voyage.  Je voudrais faire un peu plus de camping.  J'aimerais bien retourner dans l'Ouest canadien et américain.  Je l'ai fait il y a trois ans, mais j'ai dû dormir dans une voiture.  J'aimerais bien le refaire de manière un peu plus confortable cette fois-ci.

Si jamais vous avez la chance de rencontrer M. Caron, dites-vous que c'est entre autres grâce à des gens comme lui que la physique demeure un milieu dynamique, stimulant et en perpétuelle évolution.

a Loïc Franchomme-Fossé


Dernière mise à jour : 13 août 1998
Mise en page par Gilbert Vachon

revue@physique.usherb.ca