L'Attracteur     No. 6     Automne 1998 LA REVUE DE PHYSIQUE ISSN 1207-0203


Le prix Nobel 1997

Le Prix Nobel de physique 1997 a été attribué à trois physiciens, soit aux Américains Steven Chu et William D. Phillips ainsi qu'au Français Claude Cohen-Tannoudji.  Ce prix leur a été décerné pour le développement de méthodes permettant de refroidir et d'emprisonner des atomes à l'aide de lasers.  Le présent article a pour but d'expliquer le fonctionnement de ces trappes à atomes.

On cherche depuis longtemps à étudier de près les atomes.  Cependant, à la température de la pièce, les atomes gazeux se déplacent beaucoup trop rapidement (4000 km/h) pour qu'on puisse les étudier efficacement.  Pour diminuer considérablement leur vitesse, il faut les refroidir à des températures très proches du zéro absolu (-273°C).  Il ne faut toutefois pas qu'ils passent à l'état solide, parce que les atomes sont alors trop rapprochés pour être étudiés séparément.

En 1985, dans les Laboratoires Bell à Holmdel au New Jersey, Steven Chu et son équipe ont réussi à ralentir des atomes de sodium à environ 30 cm/s en les refroidissant à 240 microkelvins (ce qui correspondait à la limite théoriquement calculée pour la méthode employée par Chu) en les « emprisonnant » à l'intersection de six lasers.  Cette technique s'explique de la façon suivante.

La trappe à atomes est au centre d'un confinement magnétique et à l'intersection de six faisceaux lasers.
Schéma illustrant la trappe à atomes
Courtoisie du Scientific American
Un atome est ralenti par un laser lui faisant face, car il absorbe, puis émet (cycle absorption-émission) les photons du laser qui lui transfèrent leur quantité de mouvement.  Le système de six lasers de Chu piège les atomes grâce au phénomène de « refroidissement Doppler ».  L'effet Doppler peut être observé par une personne située au bord d'une piste de course.  L'effet Doppler fait que, pour cette personne immobile, le son d'un véhicule roulant à grande vitesse est plus aigu (plus haute fréquence) s'il s'approche d'elle que s'il s'en éloigne.  Donc, l'effet Doppler modifie, pour un observateur en mouvement relatif avec une source d'ondes, la fréquence de ces ondes.  Dans le cas du « refroidissement Doppler », l'observateur est l'atome qu'on veut piéger, et il est en mouvement relatif par rapport aux six lasers qui représentent les sources d'ondes.  Ces lasers sont ajustés à une fréquence très légèrement désaccordée par rapport à la fréquence de résonance, soit celle pour laquelle les cycles absorption-émission de photons sont le plus favorisés.  Quand l'atome se déplace dans la direction opposée d'un laser, la fréquence de ce laser se rapproche de la fréquence de résonance (par effet Doppler) et les cycles absorption-émission deviennent plus fréquents.  L'atome subit alors une force le poussant dans une autre direction.  Comme il y a des lasers provenant de toutes les directions, l'atome reste piégé dans ce système qu'on appelle « mélasse optique ».  Cependant, l'expérience de Chu ne permettait d'emprisonner les atomes que pour environ une seconde, car la gravité les faisait tomber sous cette « mélasse optique ».

La même année, au Maryland, William D. Phillips ajoutait à une trappe à atomes comme celle de Chu des champs magnétiques variables qui se combinaient aux photons des lasers pour mieux contenir les atomes de sodium dans l'intersection des lasers (voir image).  Trois ans plus tard, Phillips refroidissait des atomes de sodium à 40 microkelvins avec sa trappe à atomes, ce que les physiciens n'arrivaient pas à expliquer puisque cela correspondait à une température six fois plus froide que la limite théorique atteinte par Chu.

À l'École Normale Supérieure de Paris, Claude Cohen-Tannoudji et son équipe avaient fait des recherches théoriques sur les refroidissements.  Ils ont réalisé que la limite du « refroidissement Doppler » avait été calculée pour un modèle simplifié de l'atome qui n'était pas suffisant.  Ils ont réussi à expliquer comment une température si basse pouvait être atteinte en faisant intervenir le pompage optique.  Leur théorie se schématise ainsi.  Les ondes lasers produisent des interférences.  L'atome en mouvement voit donc une série de collines et de vallées de potentiel.  Quand il gravit une colline, il ralentit.  Une fois au sommet, le pompage optique le place subitement au fond d'une vallée (en le changeant de sous-niveau d'énergie).  De là, il doit gravir une autre colline, donc ralentir encore, et ainsi de suite.  L'atome est donc condamné à gravir continuellement des collines et donc, à toujours ralentir.  Cela ressemble au mythe de Sisyphe, où ce dernier devait rouler une pierre éternellement vers le haut d'une colline.  C'est pourquoi on a appelé ce mécanisme le « refroidissement Sisyphe ».  Quand l'atome n'a plus assez de vitesse pour gravir une colline, il reste emprisonné dans la vallée (ou puits de potentiel).  C'est ainsi que des millions d'atomes peuvent être emprisonnés dans un espace microscopique sans former un état solide.

On pense déjà à des applications pour la trappe à atomes.  On songe à réaliser des horloges de cent à mille fois plus précises que les meilleures horloges atomiques actuelles, qui ne perdent pas plus qu'une seconde par million d'années! De telles horloges pourront être utilisées dans un satellite afin d'améliorer considérablement la précision des systèmes de navigation et du système GPS (système global de positionnement).  De plus, en ralentissant des atomes à de si basses vitesses, on remarque que leur comportement ondulatoire devient très important.  Cela pourrait permettre de réaliser avec des atomes des expériences d'interférométrie, des instruments de mesure extraordinairement précis et, éventuellement, la naissance d'une nouvelle technologie associée.  Enfin, la trappe à atomes a récemment permis de vérifier aux États-Unis la condensation Bose-Einstein (Bose et Einstein avaient prévu qu'il était possible d'accumuler un grand nombre d'atomes identiques dans un même état quantique).  Ce phénomène pourrait éventuellement permettre de réaliser un laser à atomes ou des atomes remplaceraient les photons.

Les travaux de Steven Chu, William D. Phillips et Claude Cohen-Tannoudji sur le refroidissement des atomes leur ont donc permis de mériter le prestigieux Prix Nobel de physique l'an dernier.  Pour de plus amples informations sur leurs recherches, consultez la page web suivante (en anglais) : http://www.nobel.se/ announcement-97/physics97.html

j Vincent Farley


Dernière mise à jour : 13 août 1998
Mise en page par Gilbert Vachon

revue@physique.usherb.ca