L'Attracteur     No. 7 
Hiver 1999

LA REVUE DE PHYSIQUE">PHYSIQUE

ISSN 1207-0203

Prix Nobel 1998 :
Le monde quantique à l'honneur

Les prix Nobel de physique et de chimie décernés à l'automne 1998 ont souligné, chacun différemment, l'importance capitale de la physique quantique dans les sciences contemporaines.  Commençons par le prix de chimie, décerné à Walter Kohn (un physicien) et John Pople (un mathématicien), tous deux Américains d'adoption, pour leur développement de méthodes de calcul de la structure électronique des atomes, des molécules et des solides.  La distribution spatiale des électrons dans une molécule et ses différents niveaux d'énergie sont nécessaires pour comprendre le comportement chimique de cette molécule (l'énergie d'activation des réactions, etc).  Ces données sont en principe le fruit de la solution de l'équation de Schrödinger pour la fonction d'onde de la molécule, qui dépend des coordonnées de tous les électrons présents.  La solution exacte de cette équation est impossible, sauf pour le plus simple des atomes (l'hydrogène).  Pour les atomes plus complexes, les molécules, ou encore les solides cristallins comportant un nombre astronomique d'électrons, ont doit avoir recours à des approximations.  Walter Kohn est l'auteur d'une telle approximation, dite de la densité locale.  Cette approximation part du principe que l'énergie du niveau d'énergie le plus bas de la molécule (le niveau fondamental) peut en théorie être exprimée exactement en fonction de la densité d'électrons en chaque point.  Dans ce langage, la densité d'électrons joue un rôle important, ce qui laisse plus de place à l'intuition que de considérer une fonction d'onde à plusieurs électrons.  En formulant des approximations basées sur ce langage, ont peut en déduire la structure électronique des solides cristallins, des solides amorphes, de molécules biologiques.  En physique des solides, même s'il est clair que cette méthode a ses limites, elle sert néanmoins de point de départ à des calculs théoriques plus poussés, qui étudient les effets qu'elle a négligé.

Anecdote intéressante: Walter Kohn, né en 1923 de parents juifs, a fui son Autriche natale en 1939, s'est réfugié en Angleterre où, considéré comme un civil ennemi (!), il a été envoyé dans un camp de prisonniers au Canada, plus précisément à Sherbrooke.  Il fut bientôt libéré et fut mis au service de l'armée canadienne.  C'est après qu'il commença ses études universitaires au Canada et aux États-Unis.   John Pople, pour sa part, a élaboré et perfectionné des algorithmes permettant de calculer la fonction d'onde d'atomes et de molécules. Les méthodes qu'il a développées sont devenues standards et sont le fondement de logiciels commerciaux spécialisés dans la structure des molécules.  Ces méthodes sont plus précises que celle de Kohn, mais sont limitées à des molécules plus simples.

Le prix Nobel de physique a été décerné à deux expérimentateurs, Horst Stormer et Daniel Tsui, pour leur découverte de l'effet Hall quantique fractionnaire (EHQF), et au théoricien Robert Laughlin pour l'explication qu'il en a donné. Expliquons brièvement de quoi il s'agit.  L'effet Hall, connu depuis un siècle, se manifeste par une tension transversale V apparaissant dans un conducteur dans lequel s'écoule un courant I en présence d'un champ magnétique perpendiculaire B (voir l'illustration).  Cet effet s'explique simplement par la force magnétique perpendiculaire exercée sur les électrons en mouvement dans le conducteur.  Or, en 1980, le physicien allemand Klaus von Klitzing a découvert, dans des structures de semiconducteurs en couches minces (appelées hétérostructures) que l'effet Hall est quantifié, c'est-à-dire que la résistance de Hall (le rapport V/I) est de la forme R = h/i e2 , où h est la constante de Planck, e la charge de l'électron et i est un entier positif.  Cette quantification est précise à une partie sur un million et le rapport h/e2 = 25 813 ohms est maintenant utilisé comme étalon de résistance.

A posteriori, il est assez facile de comprendre cette quantification.  Il faut pour cela savoir comment se comporte un électron dans un champ magnétique, du point de vue de la mécanique quantique : un électron libre peut avoir une énergie quelconque; mais dans un champ magnétique, son énergie d'excitation doit être un multiple entier i de hf, où f est la fréquence cyclotron qB/m, c'est-à-dire la fréquence de l'orbite circulaire d'un électron classique dans un champ magnétique de grandeur B.  Par contre, il existe un grand nombre d'états quantiques pour un même multiple entier i.  Les valeurs quantifiées de la résistance de Hall se produisent lorsque tous les états correspondant à une valeur donnée de i sont occupés par des électrons (l'analogue d'une couche complètement remplie dans un atome).  Mais Stormer et Tsui eurent la surprise se découvrir un autre plateau, correspondant à une valeur fractionnaire de i, soit 1/3, comme si une couche était au tiers remplie, mais que la résistance était quand même quantifiée, c'est-à-dire qu'il en coûte de l'énergie pour ajouter un électron supplémentaire. Ce que Stormer et Tsui ont découvert est en fait un nouvel état de la matière qui se manifeste dans une hétérostructure à basse température et fort champ magnétique.  Cet état de la matière ne peut pas être expliqué simplement en considérant les électrons comme indépendants et remplissant des états quantiques, comme on explique généralement (et trop simplement) la structure des atomes.  On doit tenir compte de la répulsion électrostatique des électrons.  Le mérite de Laughlin est d'avoir eu l'intuition correcte d'une fonction d'onde approximative pour décrire cet état et d'avoir établi que les états excités au-dessus de l'état fondamental correspondent à des quasi-particules (ou excitations) de charge fractionnaire (1/3 de la charge de l'électron).  Précisons tout de suite que ces quasi-particules n'ont rien à voir avec des quarks ou d'autres particules élémentaires : ce sont des modes collectifs d'excitation de l'ensemble des électrons, dûs à leur répulsion électrique, mais qui n'ont pas de rapport simple avec les électrons individuels.  Depuis, d'autre états, associés à des fractions différentes de 1/3, ont été découverts, et constituent un chapitre important de la physique des électrons en interaction, un domaine complexe et fascinant de la physique quantique des solides.

Pour plus de renseignement, consulter la page Web des prix Nobel : www.nobel.se/announcement-98/physics98.html

David Sénéchal j



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