L'Attracteur     No. 8     Automne 1999 LA REVUE DE PHYSIQUE

ISSN 1207-0203

Lumière!

Tout comme les automobilistes dans un embouteillage, les utilisateurs de l'ordinateur s'impatientent lorsque le « trafic » des informations est au ralenti. C'est pourquoi les scientifiques cherchent à mettre en oeuvre des moyens pour augmenter le débit de transmission et de traitement de l'information (nombres de bits1 par seconde). Pour ce faire, on cherche à diminuer la distance entre les bits, à augmenter la vitesse de propagation de l'information et à concevoir des interconnexions de plus petites tailles. Avec des signaux électriques, les performances en haute fréquence des micro-processeurs sont limitées par le phénomène d'interférence2. En effet, le contraste entre un bit 1 et un bit 0 commence à s'estomper lorsque la distance entre ces bits, ou entre les fils dans lesquels l'information est transportée, diminue. Il faut noter que la résistance des fils augmente brusquement lorsque leur taille diminue, ce qui peut également causer d'autres difficultés au niveau de la dissipation de la chaleur. Alors, comment contourner ces problèmes?

Sur le plan du transport de l'information, c'est la vitesse des électrons, dans les fils métalliques et dans les éléments semiconducteurs, qui limite le rendement à haut débit. Alors, pourrait-on utiliser un « moyen de transport » plus rapide que les électrons? La lumière, évidemment, car sa vitesse est environ 1000 fois plus grande que la vitesse de dérive maximale des électrons dans les solides! De plus, la lumière ne requiert pas de fils : des lentilles, des prismes et des miroirs feraient parvenir la lumière d'une puce à l'autre! Voilà le grand principe de l'ordinateur optique.

Outre sa vitesse extrême, l'utilisation de la lumière comporte plusieurs avantages. Entre autres, les photons (corpuscules de lumière) n'interagissent pas les uns avec les autres. Cette particularité de la lumière signifie qu'aucune interférence ne sera créée, même si plusieurs rayons lumineux s'entrecroisent. Ainsi, on pourrait transmettre une multitude de données par une multitude de rayons lumineux, et ce, dans un tout petit espace, sans détruire l'information véhiculée. De plus, comme la lumière n'exige pas de support physique, les bits pourraient voyager, par l'intermédiaire des photons, directement dans l'air3. En supposant que l'on puisse intégrer toutes les composantes optiques dans des circuits de dimensions comparables aux puces électroniques, il serait possible d'envoyer mille fois plus de bits à la seconde qu'avec un ordinateur actuel! Aussi, l'utilisation d'architecture parallèle, permettant d'effectuer plusieurs opérations simultanément, pourrait augmenter encore plus les avantages de l'ordinateur optique.

Au début des recherches en informatique optique, les scientifiques voulaient créer un ordinateur fonctionnant entièrement à l'aide de l'optique, c'est-à-dire que le transport ET le traitement des données seraient assurés par des dispositifs optiques. Toutefois, les puces électroniques sont devenues tellement performantes au niveau du traitement de l'information, que les chercheurs optent maintenant pour un ordinateur hybride. Ainsi, l'ordinateur opto-électronique du futur bénéficiera autant de la qualité des puces électroniques déjà existantes que des avantages découlant du transport optique de l'information entre ces puces.

Mais pour être en mesure de recevoir et de transmettre efficacement les données, cet ordinateur hybride a besoin de trois principaux éléments, soit les émetteurs, les détecteurs et les composantes servant à l'aiguillage des signaux optiques (modulateurs). Tous ces éléments opto-électroniques existent déjà et de nombreux travaux de recherche sont axés vers leur miniaturisation et leur intégration aux divers types de circuits électroniques4. Certains matériaux peuvent être utilisés à la fois comme émetteurs de lumière, comme détecteurs ou comme modulateurs. Les puits quantiques multiples (PQM) font partie de cette catégorie. Ils sont faits de plusieurs épaisseurs d'un matériau semiconducteur qui peut être transparent ou absorbant, selon la tension électrique à laquelle il est soumis. Lorsqu'un PQM est transparent, il laisse passer la lumière, qui sera ensuite réfléchie (état « 1 »). Lorsqu'il est absorbant, il ne laisse pas passer la lumière et celle-ci n'est donc pas réfléchie (état « 0 »). Le PQM comporte aussi une petite cellule photoélectrique qui convertit les signaux lumineux en signaux électriques et vice versa. Le PQM peut donc émettre la lumière, la diriger et la convertir en signal électronique lorsqu'il la détecte.

Voyons brièvement comment tous les systèmes se mettent en marche pour faire fonctionner l'ordinateur. À l'intérieur de la puce électronique, les données contenues sous la forme d'un signal électronique sont converties en un mince rayon lumineux clignotant : l'état « allumé » peut être représenté par un « 1 » et l'état « éteint », par un « 0 ». Ce rayon de bits est alors projeté à travers un réseau de miroirs et de prismes. Ceux-ci feront parvenir la lumière d'une puce à l'autre. À la fin du trajet, une lentille concentre le rayon sur une cellule photoélectrique microscopique qui reconvertira l'information lumineuse en signal électronique. Avec l'ordinateur opto-électronique, le traitement des données reste le même qu'avec l'ordinateur actuel, ce n'est que le transport qui diffère.

Il n'y a aucun doute, l'ordinateur optique présente de grands avantages. Or sa fabrication amène certaines complications. En effet, comment un appareil aussi délicat pourra-t-il résister aux secousses de l'environnement de la vie quotidienne, comme les vibrations d'un enfant qui saute sur le plancher ou d'un autobus qui passe dans la rue? Pour surmonter cet obstacle, il est clair que l'intégration de toutes les composantes optiques sur un même substrat5 et l'encapsulation diélectrique (isolation) de cette puce permettra de réduire sensiblement les problèmes de stabilité. Autrement, d'autres scientifiques ont déjà puisé une solution du côté du cinéma. Oui, oui, du cinéma!

Certaines caméras très sophistiquées sont pourvues d'un petit prisme rempli de liquide qui réagit aux vibrations de la caméra en s'étirant ou en se contractant, comme un accordéon. Ainsi, les rayons lumineux sont légèrement déviés pour que l'image reste stable en tout temps, même lors de prises de vue dans une voiture! De la même façon, l'ordinateur optique devrait vérifier constamment si des rayons lumineux ont été déviés de leur trajectoire. Un système contrôlerait les rayons et, dès qu'il détecterait une anomalie, due à des vibrations extérieures, des petits moteurs inclineraient des miroirs, ce qui corrigerait la trajectoire des rayons fautifs, comme le fait le prisme dans la caméra. C'est ce que l'on appelle l'optique adaptative.

Bien sûr, la mise au point d'un tel ordinateur hybride nécessitera le développement de diverses technologies de pointe en optique, en électronique, en informatique, etc. Il est évident que cet ordinateur ne sera pas sur les rayons des commerçants la semaine prochaine, mais son élaboration montre bien la puissance de création que peut générer la recherche interdisciplinaire.

Marie-Ève Gosselin, en collaboration avec Denis Morris j

1 Un bit est l'unité contenant l'information binaire (0 ou 1).

2 À haute fréquence, les fils commencent à agir comme des petites antennes et diffusent leurs signaux aux fils avoisinants.

3 L'utilisation d'un laser comme source permettrait de s'affranchir de la divergence des faisceaux.

4 La difficulté d'intégration réside notamment du fait que la plupart des composantes photoniques sont fabriquées à partir de semiconducteurs III-V (c'est-à-dire des semiconducteurs fabriqués à partir des éléments des colonnes III et V du tableau périodique des éléments, comme le GaAs) alors que les circuits électroniques usuels sont basés sur une technologie à base de silicium (colonne IV du tableau périodique des éléments).

5 Matériau sur lequel sont réalisés les éléments d'un circuit intégré.

Bibliographie

John McCrone, The future's bright, New Scientist 156, no 2105, 25 octobre 1997, p. 40.