L'Attracteur     No. 8     Automne 1999 LA REVUE DE PHYSIQUE

ISSN 1207-0203

Le Québec dans la mauvaise direction?

Dans notre ère moderne, le développement scientifique et technologique va à toute allure. Cela crée une quantité d'emplois impressionnante nous permettant de penser que le nombre d'étudiants en science doit gonfler proportionnellement dans nos universités québécoises. Cependant, en examinant les statistiques des universités, on réalise que la situation actuelle ne correspond pas à cette logique.

La croissance des offres d'emplois en science et en génie est effectivement indéniable : le nombre d'emplois dans ces domaines a subi une hausse de plus de 90 % entre 1981 et 1991 contre 14 % seulement pour l'ensemble des autres professions. À première vue, les étudiants québécois semblent y avoir bien réagi puisque le nombre de diplômés universitaires a grimpé de 30 % entre 1988 et 1996. D'ailleurs, en 1990, un Québécois de 22 ans sur quatre possédait un baccalauréat, ce qui nous classe mieux que les Etats-Unis, le Japon et l'Allemagne à ce titre.

Ces chiffres semblent indiquer que la situation académique du Québec est adéquate, mais il existe bel et bien un problème : nos jeunes s'intéressent davantage aux sciences sociales et humaines qu'aux sciences pures et au génie. Ils marchent donc à contre-courant des besoins du marché du travail. Au Québec, entre 1988 et 1996, seulement 16 % des diplômes ont été décernés en génie, sciences pures et sciences naturelles mis ensemble, alors que 25 % ont été attribués en administration, 20 % en sciences de l'éducation et 15 % en sciences sociales. Cela ne paraît pas être en voie de changement : durant cette période, la part des baccalauréats en sciences pures seulement a chuté de 8,1 % à 5,8 %.


Proportions des diplômés universitaires au Québec et dans différents pays en 1994

1994

Sciences*

Sciences humaines

Québec

30,2 %

42,4 %

Canada

25,8 %

56 %

Allemagne

52,8 %

36,4 %

Japon

36,3 %

25,7 %

France

38,5 %

30,6 %

États-Unis

26,2 %

46,7 %

Ensemble OCDE**

39,3 %

38,1 %


* Inclut les sciences pures, les sciences médicales et le génie
** Pays membres de l'Organisation de coopération et de développement économiques (équivaut aux pays développés)

Pour expliquer ce phénomène principalement propre au Québec et au reste du Canada, on peut penser à trois causes majeures. Premièrement, la plupart des jeunes perçoivent le système scolaire comme un véritable parcours d'obstacles dont le chemin le plus ardu est celui des sciences. Dès le secondaire quatre, seulement la moitié des jeunes empruntent la voie des sciences et des mathématiques fortes, et bon nombre d'entre eux quittent cette branche en arrivant au collégial. Deuxièmement, les jeunes méconnaissent les possibilités que leur offre une formation scientifique. Leur vision est plutôt pessimiste et ils croient que l'emploi est bouché, alors qu'il en est tout autrement. Enfin, l'image qu'ont les jeunes -- et pas seulement eux -- des scientifiques n'est pas très reluisante. La majorité croit, à tort, que tous les scientifiques mènent de longues études difficiles et qu'ils sont solitaires et antisociaux. "Notre monde valorise plus le personnel administratif que les scientifiques", explique Claude Demers, directeur général de L'Association des directeurs de la recherche industrielle du Québec (ADRIQ).

Malgré le fait que le nombre d'étudiants en science soit insuffisant par rapport à la demande, la recherche d'un emploi à la fin des études dans ce domaine n'est pas toujours évidente. Cela semble paradoxal, mais peut être facilement éclairci. Les employeurs demandent davantage que le diplôme aux personnes prêtes à entrer sur le marché du travail. Ils recherchent des gens qui ont des qualités personnelles comme le leadership, la capacité de bien communiquer et de collaborer, la discipline, etc. Bref, des aspects de la personnalité qu'on ne développe pas nécessairement dans les laboratoires à l'université.

La vaste branche des sciences demeure tout de même celle qui offre les meilleures garanties d'emploi à nos jeunes, qui, espérons-le, en prendront bientôt conscience...

Vincent Farley j