L'Attracteur     No. 9    Hiver 2000 LA REVUE DE PHYSIQUE

ISSN 1207-0203

La sonoluminescence

ou l'étoile mystérieuse

Notre monde regorge de sources lumineuses. La flamme d'une bougie, l'ampoule incandescante d'une lampe et les enseignes publicitaires au néon n'en sont que quelques exemples. La bioluminescence (caractéristique qu'ont certains êtres vivants de pouvoir créer de la lumière) est un procédé que plusieurs ont déjà examiné, une nuit d'été, en s'émerveillant devant le spectacle scintillant d'une colonie de lucioles. Toutefois, une autre façon de produire de la lumière est beaucoup moins connue. C'est la sonoluminescence : l'art d'utiliser le son pour faire de la lumière!

Une expérience relativement simple permet d'observer la sonoluminescence. Par divers moyens, une petite bulle d'air est insérée dans un ballon rempli d'eau (distillée et partiellement dégazée par ébullition), sur lequel sont collés trois transducteurs, des dispositifs qui permettent de changer les ondes mécaniques en ondes électriques et vice versa. Deux de ces transducteurs transmettent les ondes sonores au ballon (le troisième sert de microphone). Ce qui est assez impressionnant, c'est que la sonoluminescence nécessite des ondes acoustiques d'une intensité d'environ 110 décibels, ce qui est comparable à une alarme d'incendie distante de quelques centimètres seulement! Heureusement pour les scientifiques, la fréquence acoustique utilisée est juste au-delà des fréquences perçues par l'oreille humaine! Pour que la sonoluminescence ait lieu, la fréquence des ondes sonores doit être la même que la fréquence de résonance du ballon utilisé. Ainsi, la bulle d'air reste piégée au centre de celui-ci.

La variation de la pression, entraînée par les ondes acoustiques, modifie le volume de la bulle d'air dans le ballon. Lorsque l'amplitude de l'onde sonore diminue, la pression diminue elle aussi et le volume de la bulle d'air augmente, jusqu'à 50 micromètres de rayon environ. Puis, lorsque l'amplitude de l'onde augmente, la bulle d'air succombe à la pression et son volume diminue très rapidement, pour atteindre un rayon d'environ 0,5 micromètres (les forces de répulsion entre les atomes et les molécules de gaz contenus dans la bulle - forces de répulsion de Van der Waals - l'empêchent de rétrécir davantage). Il y a alors création d'une onde de choc, car la vitesse de réduction de la bulle est plus élevée que la vitesse du son dans l'eau. Cette onde de choc converge vers le centre de la bulle d'air, rebondit sur elle-même et c'est à ce moment que surgit la sonoluminescence : un tout petit point lumineux apparaît dans le ballon!

À l'oeil nu, si l'expérience est effectuée dans le noir, cette lumière ressemble à une étoile dans le ciel! Après l'apparition de la lumière, la bulle rebondit plusieurs fois sur elle-même, puis un autre cycle recommence. L'étincelle ne dure qu'environ 50 picosecondes (5 x 10-12 secondes), mais comme le temps entre deux éclairs lumineux consécutifs n'est que de 35 microsecondes (35 x 10-6 secondes), la fausse étoile, à nos yeux, paraît briller continuellement. À titre comparatif, au cinéma, les films se déroulent à raison de 24 images par secondes. Il y a donc une image à toutes les 4 x 10-2 secondes environ. Notre oeil ne parvenant pas à percevoir le « trou » entre deux images consécutives, le film nous semble alors continu. Le même phénomène se produit avec les étincelles de la sonoluminescence! Celles-ci apparaissent si rapidement les unes après les autres que l'oeil ne distingue pas les moments où elles sont absentes.

L'émission de lumière n'est pas la seule conséquence de la sonoluminescence : on peut aussi constater une énorme concentration d'énergie. En effet, la lumière bleutée de cette expérience possède un large spectre qui s'étend loin dans l'ultraviolet, jusqu'à des longueurs d'onde de 190 nanomètres. (En réalité, ce sont les longueurs d'ondes les plus petites qui peuvent se propager dans l'eau, sans une forte atténuation. Certains chercheurs tentent de savoir si la sonoluminescence ne pourrait pas produire d'autres longueurs d'onde, qu'ils n'ont pas encore été en mesure de détecter à cause de cette limite.) La lumière de longueur d'onde de 190 nanomètres est constituée de photons d'une énergie de plus de 6 eV. En considérant la bulle d'air comme un corps noir (un parfait émetteur d'énergie), la température à l'intérieur de celle-ci, lors de l'émission de la lumière, serait de plus de 72 000 Kelvins, car il faut une température d'envion 12 000 Kelvins pour produire un rayonnement de 1 eV. Ce qui voudrait dire que la température à l'intérieur de la bulle serait environ 10 fois plus élevée que la température à la surface du Soleil!

Selon certains scientifiques, l'énergie de la sonoluminescence pourrait éventuellement servir à produire de la fusion nucléaire! Certains chercheurs tentent de faire de la fusion à confinement magnétique dans un tore, pendant que d'autres, essaient d'utiliser la sonoluminescence pour faire de la fusion à confinement inertiel. En d'autres termes, la sonoluminescence pourrait permettre de piéger les réactifs au centre d'un système de fusion nucléaire, en plus de fournir l'énergie nécessaire pour produire la fusion. L'énergie produite par la sonoluminescence est aussi utilisé, en sonochimie, comme catalyseur dans certaines réactions chimiques servant à créer de nouvelles molécules.

Bien que la sonoluminescence soit une expérience facilement réalisable, son mécanisme exact demeure encore inconnu. Cependant, au cours des années, plusieurs hypothèses ont été proposées par les scientifiques.

En 1934, le phénomène de la sonoluminescence fut observée pour la première fois par H. Frenzel et H. Schultes, de l'Université de Cologne, en Allemagne. Selon eux, tout n'était qu'une question d'électricité statique! Les ondes sonores provoqueraient la croissance et l'effondrement de la bulle dans l'eau. Ce mouvement, la cavitation (que l'on peut très bien voir sur l'image de cette bulle sur le point de s'effondrer), occasionnerait la séparation des charges électriques. À ce moment, les étincelles seraient émises - le même type d'étincelles que celles qui sont créées par la foudre!

Puis, en 1952, les chercheurs se demandaient comment l'échauffement pouvait entraîner l'émission de la lumière. Ils formulèrent l'hypothèse que l'énergie provevant de l'implosion de la bulle était suffisamment grande pour pouvoir dissocier les molécules de la cavité. En se recombinant, ces molécules émettraient la lumière caractéristique de la sonoluminescence.

Aujourd'hui, c'est l'hypothèse (décrite un peu plus haut) impliquant l'onde de choc qui est la plus populaire. Toutefois, rien n'est encore définitif! La sonoluminescence dissimule encore bien des mystères!

Marie-Ève Gosselin j

Effets de la variation de la pression

La courbe rouge représente la variation de la pression exercée sur la bulle d'air, tandis que que la courbe verte illustre la variation du rayon de la bulle. Celle-ci prend de l'expansion lorsque la pression faiblit puis, se contracte subitement lorsque la pression augmente. Les pics de la courbe bleue symbolisent l'émission de l'éclair lumineux de la sonoluminescence.

Bibliographie

Raymond A. Serway, Physique III: Optique et physique moderne, 4e édition, Éditions Études Vivantes, Laval, 1996, p. 58.

Seth J. Putterman, Sonoluminescence : sound into light, Scientific American 272, février 1995, p.46.

Seth J. Putterman, Un son et lumière avec une bulle, La recherche 255, volume 24, juin 1993, p. 750.

http://www-phys.llnl.gov/N_Div/sonolum/

http://www.scs.uiuc.edu/~suslick/britannica.html

Images

SONOLUMINESCENCE : http://www.aip.org/physnews/graphics/html/sonophot.htm

BULLE : gracieuseté de M. Russ George, Palo Alto, CA, http://rsrch.com/saturna/

GRAPHIQUE : Lawrence Crum, Sonoluminescence, Physics Today 47, septembre 1994, p.26.