L'Attracteur     No. 9    Hiver 2000 LA REVUE DE PHYSIQUE

ISSN 1207-0203

En avant la musique!

Certaines personnes apprécient la musique, d'autres en jouent, tandis que d'autres tentent de la reproduire! Aujourd'hui, il semble facile de jouer du "violon" sur un clavier électronique, mais en réalité, c'est par un long processus que s'est effectuée la synthèse du son.

Avant tout, il fallait que les scientifiques arrivent à comprendre le fonctionnement des instruments. Au 18e siècle, les physiciens ont fait une bonne part des travaux en analysant le comportement des cordes vibrantes (comme une guitare) et des ondes stationnaires dans une colonne d'air (une flûte, par exemple). Mais encore fallait-il être en mesure de reproduire ces données.

Comme tout le monde le sait, la musique est un arrangement de notes dans le temps. Cependant, là où l'oreille humaine ne perçoit qu'un son distinct (une note), la physique acoustique y détecte toute une série de vibrations dans l'air. C'est pourquoi, dans les années 1930, des physiciens étudiaient les sons des instruments de musique avec des oscilloscopes. Ils essayaient d'associer les différents sons avec les différentes formes d'oscillations. En fait, ces oscillations sont des ensembles de fréquences composés de divers harmoniques (multiples de la fréquence fondamentale) de l'instrument. En reproduisant électroniquement ces fréquences, les physiciens étaient capables de faire une copie fidèle du son original qui produisait la même forme d'onde sur l'oscilloscope. De là, sont nés les premiers orgues électroniques!

C'était un grand pas pour la science, mais un très petit pas pour l'art musical! Malgré la joie des physiciens, les musiciens ne se réjouissaient pas de ces mélodies "artificielles". Selon ces derniers, cela "sonnait faux". En parties, ils avaient raison. Il y avait réellement un problème avec ces sons : les scientifiques n'avaient tenu compte de leur fréquence que sur de courtes périodes de temps. Ils avaient reproduit la fréquence d'un "échantillon" de son d'une durée d'environ un centième de seconde. Pendant ce laps de temps, l'onde sonore est régulière. Les chercheurs avaient donc prolongé la durée de la fréquence électronique pour qu'elle persiste le temps souhaité par le musicien. Toutefois, les ondes sonores des vrais instruments de musique ne sont jamais stables très longtemps. Leurs sons évoluent dans le temps, tout particulièrement au début, car aucun instrument traditionnel ne peut se mettre à osciller régulièrement de façon instantanée, contrairement aux premiers orgues électroniques. C'était leur principal défaut, mais pas le seul!

En réalité, plusieurs autres facteurs sont responsables du son caractéristique d'un instrument de musique. L'utilisation des pédales sur un piano, l'amplification de la vibration des cordes par le corps d'un violon, la pression exercée sur les cordes d'une guitare et la quantité d'air soufflée dans une clarinette ne sont que quelques exemples de ce qui peut faire varier les sons. L'oreille humaine semble distinguer ces légères irrégularités et c'est une autre raison pour laquelle la plupart des musiciens n'appréciaient guère la musique des orgues électroniques : elle était trop parfaite!

Par la suite, les scientifiques commencèrent à tenter de recréer le "son initial" des instruments de musique et à étudier la vibration du corps des instruments à cordes à l'aide de simulations par ordinateur. On essayait aussi d'introduire, dans les sons électroniques, les faibles bruits caractéristiques du souffle d'un musicien (instruments à vent) et du mouvement des notes d'un clavier. Peu à peu, on tentait d'imiter l'agréable "imperfection" de la musique traditionnelle.

Puis, en 1970, une nouvelle technologie apparut : les "éléments contrôlés par tension" (voltage-controlled elements). La fréquence variait en modifiant la tension appliquée, ce qui produisait les différentes notes. Avec ce type d'instrument, il était possible de créer une certaine irrégularité dans la fréquence ou l'amplitude en employant une légère tension variable. Les sons semblaient alors plus "naturels".

Dix ans plus tard, la synthèse du son évoluait toujours. On inventa les MIDI (Musical Instrument Digital Interface). On pouvait ainsi relier plusieurs instruments électroniques à un appareil numérique pour former ce qu'on pourrait nommer un "orchestre électronique". Ce système permettait de créer des sons et de les mixer de différentes façons afin de produire une composition complète. Cette dernière était ensuite enregistrée dans l'ordinateur, ce qui donnait la chance au compositeur d'effacer, d'ajouter, d'inverser ou de modifier certaines parties de la mélodie, comme on le fait avec les documents d'un traitement de textes!

Maintenant, plusieurs choix s'offrent à nous sur le marché. Il existe de nombreux synthétiseurs qui ne sont, en réalité, que des "banques" de vrais sons, préalablement enregistrés par ordinateur. Cependant, d'autres synthétiseurs - les "vrais" - se servent des méthodes énoncées précédemment pour produire les sons. Certains claviers électroniques sont même sensibles à la pression exercée sur les notes!

Avec le temps - et beaucoup de recherches - la musique électronique devient tranquillement aussi expressive que la musique traditionnelle. Il ne reste qu'à convaincre les musiciens!

Marie-Ève Gosselin j

Bibliographie

Charles Taylor, Synthesising the sound of music, New Scientist 132, 21-28 décembre 1991, p. 37.

Robert A. Moog, Digital music synthesis, Byte 11, juin 1986, p. 155.

Photographies

Orgue de l'église St-Jean-Baptiste de Montréal : http://infopuq.uquebec.ca/~uss1010/orgues/quebec/sjbaptistem.html