L'Attracteur     No. 10    Automne 2000 LA REVUE DE PHYSIQUE

ISSN 1207-0203

Un chronomètre pour l'archéologie : le carbone 14

L'une des applications les plus connues de la radioactivité, cette fois à l'histoire et à l'archéologie, est la méthode de datation par le carbone 14 (14C).   Celle-ci donne une estimation de l'âge d'un objet composé de matière organique, compris entre 700 et 50 000 ans.   Expliquons le principe.

Tout débute dans l'atmosphère : en pénétrant dans la haute atmosphère, un proton cosmique réagit avec un atome quelconque pour donner un neutron .   Ce neutron entre alors en réaction avec un atome d'azote pour le transformer en carbone 14 (il va donc en ressortir un proton ).   Cependant, le carbone 14 étant instable, il se désintègre en carbone 12 (par deux désintégrations b-) et un équilibre radioactif s'établit entre le taux de formation et de désintégration du 14C.   Ainsi, la quantité de 14C présent dans l'atmosphère demeure constante.   Les atomes ainsi formés se lient par la suite à deux oxygènes pour former du CO2 et entrer dans le cycle du gaz carbonique, tout comme les atomes de carbone 12 (12C).   Ils seront incorporés aux eaux, à la terre, à l'air, consumés par la photosynthèse, rejetés par la respiration, etc.   Pendant toute leur vie, les êtres vivants échangent des atomes de carbone avec leur environnement; parmi ceux-ci, des atomes de 14C.   Par conséquent, le rapport 14C/12C d'un être vivant est toujours le même que celui de son milieu ambiant, même si les atomes instables de 14C se désintègrent en 12C, puisque les échanges continuent.   Normalement, la proportion 14C/12C est 1,3*10-12.

Rhinocéros de la Grotte Chauvet Cependant, après la mort d'un être vivant, les échanges entre celui-ci et son environnement cessent et la quantité d'atomes de 14C qu'il contient diminue graduellement.   Sa demi-vie, temps au bout duquel la moitié de la quantité d'atomes aura disparu, est de 5715 ans.   De là, puisqu'on connaît le rythme de dégradation du 14C et qu'il est facile de déterminer son abondance actuelle dans un cadavre, on pourrait évaluer l'âge de ce dernier.   Toutefois, le rapport de 14C/12C initial est aussi nécessaire au calcul de l'âge de l'objet.   Mais comment savoir si le rapport 14C/12C a fluctué au cours des siècles?   La production de 14C dans la haute atmosphère est-elle restée constante?  L'intensité du champ magnétique terrestre varie au fil des ans modifiant ainsi la quantité de particules cosmiques entrant dans l'atmosphère et donc la quantité de 14C produite.   On a longtemps cru que la production de 14C était constante, ce qui a causé plusieurs erreurs de datation.   Par exemple, le rhinocéros de la Grotte Chauvet, qu'on croyait vieux de 31 000 ans, est en réalité plus âgé : il a 36 000 ans.

C'est en comparant l'âge précisément connu d'une pièce égyptienne à celui déduit par la méthode de datation par le carbone 14 qu'on a, pour la première fois, découvert que cette dernière tendait à rajeunir les objets âgés de plus de 2000 ans.   Grâce aux autres méthodes de datation existantes et aux informations sur l'évolution du champ magnétique terrestre contenues dans les sédiments marins, on a pu fixer une échelle de calibration de la méthode du 14C en établissant une courbe de son taux de production des 50 000 dernières années.

Le négatif du Saint SuaireCependant, même si le problème de calibration a été résolu, la méthode de datation par le carbone 14 n'est pas à l'abri de toute erreur.   En effet, plusieurs mettent encore en doute certaines datations ainsi obtenues.   Par exemple, la controverse que cette méthode a suscité autour de l'âge du saint suaire de Turin, le drap funéraire ayant, selon certains, recouvert le Christ, n'a pas été de tout repos.   En effet, la méthode du 14C estime l'âge de ce drap à 700 ans, ce qui signifie que le Christ serait mort au 13e siècle (!) ou encore que la relique serait un faux, chose courante au Moyen-Âge.   Certains historiens et religieux contestent donc cette méthode de datation.   Ils affirment que les épreuves traversées par le saint suaire au cours du temps auraient changé sa teneur en 14C (incendie du lieu où il était conservé, moisissures s'y étant cachées, etc).   Plusieurs fois, on a cru que ce débat était clos, mais de nouveaux faits ne cessent de l'alimenter.   Donc, nous ne pouvons guère affirmer, avec conviction, que le saint suaire ne fera plus parler de lui.

Même si la méthode de datation par le carbone 14 a connu des temps difficiles, elle est aujourd'hui acceptée par la majorité de la communauté scientifique.   Pourtant, il ne faudrait pas oublier que c'est en comparant ses résultats avec ceux obtenus par d'autres méthodes qu'on a pu la modifier et la calibrer adéquatement.   Voilà donc une autre preuve que l'union fait la force!

Marie-Christine Gosselin j

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