L'Attracteur     No. 10    Automne 2000 LA REVUE DE PHYSIQUE

ISSN 1207-0203

La physique à l'aide de la médecine

Comme on le mentionne souvent, les applications de la physique sont innombrables et leur nombre croît constamment. Des physiciens sont fréquemment engagés pour travailler dans l'industrie en R&D particulièrement en informatique, en génie, en chimie, etc, même la biologie n’y échappe pas. Je me suis donc rendue à la Faculté de médecine de l'Université de Sherbrooke pour le constater par moi-même. C'est là que j'ai rencontré Pierre Lévesque, un ancien étudiant du Département de physique, maintenant au Département de médecine nucléaire et de radiobiologie. Il m'a parlé de son projet de doctorat.

Pierre Lévesque Pierre Lévesque fait partie de l'équipe de recherche du docteur Léon Sanche. La majorité des gens de cette équipe travaillent avec des électrons de faible énergie (soit entre 0 et 100 eV). C'est la méthode de détection et les substances exposées qui font la différence, d'un chercheur à l'autre. Mais pourquoi n'utiliser que des électrons de faible énergie? Tout rayonnement de haute énergie en radiothérapie, que ce soit des neutrons, des protons, des rayons g ou autres, produit une cascade de réactions intermédiaires au bout desquelles une grande quantité d’électrons, appelés électrons secondaires, sont créés et qui, à leur tour, transmettent l’énergie au milieu. Bien que nos cellules réparent plus de 99,9999999 % des milliers de modifications ou dommages qu'elles subissent chaque jour, c'est la fraction restante qui conduit à des modifications génétiques, des malformations de chromosomes et, peut-être, à des cancers; d'où la pertinence de telles recherches.

Durant sa maîtrise, Pierre Lévesque a travaillé à la conception d'un appareil lui permettant « d'étudier les interactions des électrons secondaires avec les bases de l'ADN et autres molécules d'intérêt biologique pouvant lui permettre de détruire le caractère radiosensibilisateur ou radioprotecteur§ de certaines structures ou molécules », explique-t-il. Les molécules sujettes à l'étude sont donc déposées en couches très minces dans un système où le vide est quasi-absolu. Afin de maintenir en place certaines structures à étudier, la température du système doit être de l'ordre de 20 K. Après avoir déposé les molécules sur la cible froide, le film est « bombardé par une source d'électrons monocinétiques ayant des énergies de l'ordre de celles des électrons secondaires (0-100 eV) ».

Maintenant étudiant au doctorat, ses recherches consistent à analyser les interactions entre les électrons secondaires et les bases de l’ADN (ou autres molécules d'intérêt biologique) à l'aide de l'appareil qu'il a conçu. Le but principal de ses travaux est de mieux comprendre les mécanismes physico-chimiques produits lors de l’irradiation et de les quantifier afin de pouvoir par la suite trouver des structures ou des molécules à caractère radiosensibilisateur ou radioprotecteur. Ses études pourraient avoir d'importantes applications, notamment dans le traitement du cancer par radiothérapie. En effet, elles lui permettront éventuellement de découvrir des radiosensibilisateurs qui cibleraient mieux les dommages afin que la dose de radiation nécessaire soit moindre et que les cellules saines soient moins endommagées. Ces résultats seront possibles grâce à l’analyse des mécanismes de déposition d'énergie et de leur importance relative en fonction de l'énergie des électrons secondaires.

Subséquemment, on pourra calculer les probabilités, interprétées sous la forme de sections efficaces absolues des différents mécanismes de pertes d'énergie et de dégradation. Il ajoute que ces données « sont essentielles dans les modèles globaux permettant de calculer les dommages induits par la radiation dans les systèmes biologiques ». C'est de là que nous pourrons développer, dans les prochaines années, une « stratégie radiothérapeutique plus efficace », une radiothérapie dans laquelle les cellules saines resteront intactes alors qu'une quantité spécifique d'énergie sera dirigée uniquement vers la tumeur.

Dans l'avenir, Pierre entrevoit deux possibilités : une le menant vers un stage postdoctoral et l'autre le conduisant vers l'industrie. Mais rien n'est encore totalement décidé. Souhaitons-lui tout simplement la meilleure des chances pour ses projets présents et futurs.

Je voudrais remercier Pierre Lévesque de m'avoir si généreusement accordé de son temps.

Marie-Christine Gosselin j

Dans des conditions normales, une erreur sur un milliard (10-9 erreur) se produira, en moyenne, lors d’une réplication de l’ADN cellulaire. La majorité des cellules qui n’auront pas été réparées vont entrer en apoptose (se suicider). De plus, le développement d’une tumeur aura lieu seulement si la cellule modifiée est une cellule souche (ces cellules qui génèrent les tissus représentent moins de 1 % des cellules de notre corps).

Certains électrons peuvent rester attaché assez longtemps à un brin d’ADN pour qu’il se casse. Cela peut induire la mort cellulaire, ou encore des mutations génétiques telles que la permutation, l’addition ou la suppression de bases.

§ On appelle radiosensibilisateur ou radioprotecteur toute structure ou substance apte à diminuer ou augmenter l’effet des radiations sur une cible particulière. Par exemple, certaines bases modifiées peuvent être intercalées entre les bases normales d’ADN pour obtenir un taux de mort cellulaire plus élevé.