L'Attracteur     No. 10    Automne 2000 LA REVUE DE PHYSIQUE

ISSN 1207-0203

Un début de siècle radioactif

Observée depuis à peine plus d'un siècle, la radioactivité ne cesse de causer de l'émoi.   Mais comment en sommes-nous arrivés à la comprendre suffisamment afin d'être capable de s'en servir de façon intelligente? C'est ce que nous allons voir...

Tout commença en 1896 avec la découverte accidentelle des rayons X par Wilhelm Röntgen.   Henri Becquerel, s'interrogeant sur l'origine de ces rayons, travailla sur l'hypothèse selon laquelle les corps fluorescents pourraient émettre des rayonnements X.   Après plusieurs essais infructueux, Becquerel exposa différents minerais d'uranium à la lumière du jour tout en les plaçant à une certaine distance d'une plaque photographique enveloppée de papier noir et les plaques furent impressionnées.   À la fin d'une journée de travail malheureusement sans soleil, il rangea des plaques photographiques et des cristaux d'uranium dans un tiroir.   Quelques jours plus tard, il décida de développer quand même les plaques pour se rendre compte qu'elles étaient encore plus impressionnées : les silhouettes des cristaux déposés apparaissaient nettement.   Cela le mena à penser que les taches produites par les cristaux n'avaient aucun lien avec un quelconque phénomène lumineux visible.   Quelques temps plus tard, Becquerel réussit à attribuer à l'uranium seul la propriété des sels d'urane d'émettre des rayonnements.   Par la suite, en 1897, il se concentra sur d'autres travaux et ne publia plus sur ce sujet.

Marie et Pierre Curie au laboratoire Les Curie prirent à leur tour le flambeau de ce qu'ils allaient nommer la radioactivité.   En 1898, se demandant si l'uranium était le seul élément à émettre des rayonnements X, Marie Curie découvrit deux éléments encore beaucoup plus actifs que le précédent : le polonium et le radium.   Dès que ces résultats furent annoncés, l'intérêt pour la radioactivité devint universel.   En 1903, Pierre Curie et son collaborateur, Albert Laborde, décelèrent une grande quantité d'énergie provenant de gros échantillons de radium purifiés, si grande que la substance conservait une température plus élevée que la matière qui l'entourait.   Cette libération de chaleur ne pouvait être expliquée par aucune réaction chimique.   Les deux hommes conclurent donc qu'il y avait une « transformation profonde », voir une « modification de l'atome de radium lui-même ».   Quelques temps auparavant, Pierre Curie avait observé que l'émission de gaz du radium décroissait exponentiellement, puisqu'elle diminuait de moitié à tous les 3 jours, 23 heures et 42 minutes.   Il appela cette durée la demi-vie.   C'est aujourd'hui une façon répandue de qualifier un élément radioactif dont, par ailleurs, on a établit l'équation de désintégration comme étant N(t) = N(0)e-t/t, où N est le nombre de noyaux, t le temps, et t le temps de vie (égal à la demi-vie/ ln2).

Pendant ce temps, Ernest Rutherford, s'intéressant aux résidus radioactifs, découvrit que l'élément produit par la désintégration du thorium (jusqu'alors appelé thorium X) était en réalité du radon, qu'il identifia comme étant un gaz rare.   Un peu plus tard, en étudiant en détail les rayonnements produits par les désintégrations radioactives, il en distingua deux types, a et b, selon leur pouvoir de pénétration de la matière et d'ionisation de l'air.   Il identifia les particules moins pénétrantes (a) comme étant des noyaux d'hélium et les plus pénétrantes (b), des électrons.   Ces découvertes lui valurent le prix Nobel de chimie en 1908.   C'est en utilisant ces particules que Rutherford remarqua, en 1911, que l'atome est essentiellement fait de vide (un noyau positif autour duquel gravitent des électrons négatifs).   Des rayons encore plus pénétrants que les autres ont été par la suite découverts par Paul Villard.   Il les nomma rayons g.   En 1919, Rutherford poursuivait ses travaux sur les transformations des noyaux atomiques, il réalisa la première transmutation artificielle : il réussit à transformer de l'azote en oxygène.   D'ailleurs, on lui accorde souvent le titre du père de la physique nucléaire.   Ainsi commença donc l'ère de la radioactivité artificielle...

En étudiant la désintégration b, au cours de laquelle un noyau N se désintègre en un noyau N' et un électron, on s'aperçut que ni la conservation de l'énergie, ni celle de la quantité de mouvement et du moment cinétique n'était respectée.   En 1930, Wolfgang Pauli proposa qu'une autre particule, électriquement neutre et de masse négligeable, était émise lors de cette désintégration.   Cette hypothèse rétablissait les diverses lois de conservation.   Il nomma cette particule le neutrino.   Ce n'est que dans les années 1950 qu'on a pu la détecter et confirmer ainsi son existence.

Au début des années 1930, James Chadwick, un collaborateur de Rutherford, fit la découverte d'une particule neutre de masse semblable à celle du proton, contenue dans le noyau de l'atome : le neutron.   Croyant que le neutron et l'électron positif (positron) sont émis ensemble lors d'une réaction nucléaire, Irène (fille de Marie et de Pierre Curie) et Frédéric Joliot-Curie tentèrent de l'observer.   C'est en 1934 qu'ils découvrirent que ces deux particules n'étaient pas émises en même temps, mais bien successivement.   Par exemple, en bombardant des particules a sur de l'aluminium, ils obtinrent la réaction nucléaire : Réaction nucléaire d'une particule alpha sur un atome d'aluminium le transformant en un atome 
 de phospore et un neutron.  Mais cet isotope du phosphore étant instable, il se désintègre en Désintégration spontanée d'un atome de phosphore en un atome de silicium, un positron et un neutrino, où n représente le neutrino de Pauli.   Ces deux étapes sont donc nécessaires pour obtenir un neutron et un positron.   Par ces observations, ils ont aussi démontré l'existence des radiations b+.   Ainsi, c'est grâce à leur découverte de la radioactivité artificielle et à leur synthèse de nouveaux éléments radioactifs que Frédéric et Irène Joliot-Curie obtinrent le prix Nobel de chimie en 1935.

Ce n'est qu'après 1940 que des réactions nucléaires furent contrôlées à des fins militaires et civiles.   Enfin, bien qu'aujourd'hui on l'utilise en médecine, dans l'industrie et lors d'expérimentations, il ne faudrait pas oublier que la radioactivité a tué la première femme s'y étant intéressé : Marie Curie.   Ainsi, c'est en connaissance de cause, en contrôlant les risques associés, qu'on peut maintenant tirer profit de la radioactivité.

Marie-Christine Gosselin j

Bibliographie

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