L'Attracteur     No. 10    Automne 2000 LA REVUE DE PHYSIQUE

ISSN 1207-0203

Qui a peur des radiations?

Photographie d'une centrale nucléaire américaine

Afin d'éviter les catastrophes nucléaires comme celle de Chernobyl (1986) ou encore de ne prendre aucun risque face aux effets que pourraient avoir de minuscules quantités de radiations artificielles sur les êtres vivants, les usages de la radioactivité sont fortement réglementés.  Malheureusement, les hypothèses sur lesquelles repose cette réglementation ne sont pas toutes scientifiquement démontrées!

Depuis le début du siècle, l'accroissement du nombre d'applications de la radioactivité est fulgurant.  Mais puisque ce phénomène est mal connu du public, la majorité de la population en a peur.  La croyance populaire veut même que toute quantité de radiation, si petite soit-elle, soit un danger pour la santé.  Une hypothèse a d'ailleurs été formulée à ce sujet : celle du dommage linéaire sans seuil (linear non-threshold theory).  Selon cette hypothèse, les dommages causés par les radiations seraient proportionnels à la dose reçue et il n'y aurait pas de dose critique en deçà de laquelle ils sont inexistants.  Autrement dit, cette hypothèse pourrait être représentée graphiquement par une courbe des dommages en fonction de la dose, cette courbe étant une droite passant par l'origine.  C'est une hypothèse extrêmement simple et c'est donc celle qui fut choisie par la Commission Internationale de Protection Radiologique (CIPR) en 1959 pour devenir la base des réglementations des radiations et de la sécurité nucléaire.

Avant d'aller plus loin, prenons note que la dose de radiation que peut recevoir un individu, une population ou encore un objet est exprimée en sieverts, dont une unité correspond à une énergie de un joule par kilogramme.  Le sievert tient compte du type de radiation et de la durée sur laquelle s'est échelonnée l'émission.

Avec toute la radiation naturelle qui nous vient de l'espace et de la Terre, la dose que reçoit un individu est d'environ 2,2 mSv par an.   Cependant, à quelques endroits sur la Terre, comme certaines régions de l'Inde, du Brésil ou de l'Iran, ce taux peut devenir jusqu'à cent fois plus élevé.  Par contre, des études ont montré que les humains, animaux et plantes de ces contrées n'éprouvent pas un plus grand danger cancérigène ou d'ordre génétique que ceux d'ailleurs.  Pourtant, ces êtres vivants sont cent fois plus irradiés que certains autres...  De plus, il y a 3,5 milliards d'années, le taux de radiation naturelle était de 3 à 5 fois plus élevé que maintenant.  En apparence, il n'y a donc pas de quoi s'inquiéter de ce 2,2 mSv annuel.

Malgré cela, il est capital de réglementer l'émission de quantités trop élevées de radiations (on n'a qu'à regarder l'impact que peut avoir une bombe nucléaire pour en être convaincu), mais celle de très petites doses demeure discutable.  Aujourd'hui, la dose maximale de radiation artificielle permise par individu est de 1 mSv par an, soit moins de 1% de la quantité de radiation naturelle de certaines régions de la Terre.   Toute la radiation naturelle d'une année, soit 2,2 mSv, ne cause que 5 dommages à l'ADN d'une cellule de mammifère.  En guise de comparaison, au cours d'une même année, chaque cellule en subit spontanément 70 millions.  Ainsi, notre organisme n'est presque pas affecté par les radiations qui nous entourent.

panneau d'avertissement de matière radioactivePar ailleurs, ce n'est pas sans raison que nous ne possédons pas de senseurs de radiations, alors que nos sens nous permettent de détecter, par exemple, les écarts de température : nous n'en avons tout simplement pas besoin!   La température, quant à elle, est un élément variable auquel nous devons faire attention : si on augmente la température confortable de l'eau d'un bain (300 K) de 25% (373 K, soit à la température d'ébullition) ou si on la refroidit de 10%, (273K, soit la température de congélation), la mort est assurée.  C'est d'ailleurs pour cette raison que nous sommes dotés de capteurs thermiques, partout sur notre corps, qui nous donnent un signal d'alerte lorsque nous sommes en danger.  Pour les radiations, ces capteurs nous sont inutiles, puisque seule une dose très élevée peut faire du tort à notre organisme et que ces conditions critiques qui nous seraient nuisibles n'existent naturellement pas dans la biosphère.  Ainsi, nous n'avons pas eu besoin de développer un tel système de protection contre les radiations.

Dans un autre ordre d'idées, notons que c'est entre 1961 et 1964 qu'ont eu lieu la majorité des essais et des bombardements nucléaires atmosphériques.  Durant cette période, la dose moyenne de radiation accumulée par individu a été de 0,35 mSv, ce qui représente environ 5% de la radiation naturelle reçue pendant ce même intervalle.  Aussi, 50 années d'études ont montré que les survivants des bombardements d'Hiroshima et de Nagasaki ayant reçu instantanément 200 mSv n'ont pas souffert de plus de cancers que la moyenne de la population et leur progéniture n'a pas non plus développé de dérangement génétique.   Toutefois, jusqu'à tout récemment, ces faits ont été complètement ignorés au profit de l'hypothèse du dommage linéaire sans seuil.   Pourtant, il y longtemps que cette hypothèse avait été contredite par un phénomène appelé hormèse, d'après lequel de petites doses de radiations ne sont pas dommageables mais, au contraire, génèrent une stimulation et une protection.  Il a été observé pour la toute première fois sur des algues au début du siècle.  Ce n'est cependant qu'en 1994 que ce phénomène a été reconnu par l'ICRP.  Comme exemple de ce phénomène, mentionnons les survivants des bombes atomiques, pour lesquels on a enregistré un taux de leucémie moins élevé que la moyenne et une longévité accrue.  

L'hypothèse du dommage linéaire sans seuil nous coûte extrêmement cher : chaque vie sauvée par l'implantation des présentes mesures de protection contre les radiations coûte environ 2,5 milliards de dollars.  En comparaison, l'immunisation contre la diphtérie ou la coqueluche ne coûte qu'entre 50 $ et 99  $.

En conclusion, accepter le fait qu'il y a un seuil en deçà duquel la dose de radiation ne pose pas de danger serait considérer les radiations de façon rationnelle et montrerait au public qu'elles ne sont pas aussi mauvaises qu'on l'imagine trop souvent.

Marie-Christine Gosselin j

Bibliographie