L'Attracteur     No. 10    Hiver 2001 LA REVUE DE PHYSIQUE

ISSN 1207-0203

Nouveau professeur, nouveaux horizons

Depuis le mois de juillet 2000, le Département de physique de l'Université de Sherbrooke s'est enrichi d'un nouveau professeur-chercheur, Patrick Fournier (http://www.physique.usherb.ca/~pfournie/). Après avoir fait sa maîtrise et son doctorat ici à Sherbrooke, il est parti deux ans à Stanford. Il a ensuite passé quatre ans à l'Université du Maryland. C'est avec enthousiasme qu'il m'a expliqué ses futurs projets au sein du Département de physique et des avenues possibles dans la fabrication et l’étude des propriétés physiques des oxydes.

Bien que son intérêt premier soit l'étude des propriétés intrinsèques des supraconducteurs, Patrick Fournier travaille beaucoup sur la croissance de matériaux (majoritairement des échantillons de supraconducteurs) sous forme de cristaux et de couches minces. En dépit de recherches sur les oxydes, aucun système de croissance de ces matériaux n'existe présentement à Sherbrooke. Les chercheurs du Département de physique travaillent donc avec des échantillons ayant été fabriqués ailleurs. Voilà pourquoi M. Fournier consacrera les prochains mois à mettre en place, au Département de physique, deux techniques permettant la croissance de matériaux. Elles seront basées sur des procédés différents : l'une permettra la croissance de cristaux alors que l'autre, celle de couches minces.

Croissance de 
cristaux dans un creuset dont les parois sont maintenues à des températures différentes.Une première méthode de croissance des matériaux permet la fabrication de cristaux de très haute qualité. Les échantillons obtenus consistent en des cristaux d'environ 50 micromètres d'épaisseur, avec une superficie de 1 mm par 2 mm. Pour ce faire, on place dans un creuset cylindrique, en quantité non-stœchiométrique, les composants de l'oxyde qu'on désire obtenir, par exemple du Y2O3, BaCO3 et du CuO pour faire croître le supraconducteur YBa2Cu3O7 dont la température critique est d'environ 93 K. À très haute température, le contenu devient liquide. Un gradient de température est maintenu entre les deux côtés opposés du creuset. La température est alors réduite très lentement (1°C/h) et lorsque le côté le plus froid des deux atteint la température de solidification, des cristaux immergés dans un flux (ici le CuO liquide) commencent à se former sur ce côté. On arrête lorsque la température la plus élevée dans le creuset est inférieure à la température de cristallisation. Par la suite, pour récupérer les cristaux formés, on doit casser le creuset! Cela rend d'ailleurs cette méthode onéreuse, car les creusets utilisés pour obtenir des cristaux purs peuvent coûter, plus de 100 $ chacun! À ce point, huit jours se sont écoulés depuis le début des manipulations, mais le matériau n'est pas encore supraconducteur. Au moins huit journées additionnelles sont ensuite nécessaires pour le traiter afin qu'il devienne supraconducteur. La durée et le coût de cette méthode représentent donc des inconvénients, mais la pureté des échantillons obtenus en vaut le « coût »! Elle permet l’étude importante des propriétés physiques intrinsèques, puisque l’effet des impuretés a été minimisé au maximum.

Schéma du montage expérimental de la croissance par couche mince.Pour les matériaux qu'il est impossible de former avec la technique précédemment expliquée ou pour étudier des composants électroniques à base de ces oxydes, la croissance peut être faite sous forme de couches minces. Patrick Fournier introduira aussi un système de déposition par la technique d'ablation laser. Cet appareil permet le dépôt de couches avec des épaisseurs allant de quelques couches d'atomes à plusieurs centaines de nanomètres (typiquement 200 nm). Pour ce faire, le faisceau d'un laser excimer (He, Ne, F2) d'une puissance énorme est d'abord dirigé par un système optique vers une cible placée à l'intérieur d'une chambre à basse pression dans laquelle un gaz a préalablement été introduit. Sur cette cible, se trouvent, dans les proportions stœchiométriques, les éléments constituant le matériau que l'on désire former (par exemple du Pr1,85Ce0,15CuO4+d), en une poudre compacte. Le faisceau laser focalisé bombarde donc ce mélange. Les particules arrachées de la cible deviennent tellement énergétiques qu'elles sont propulsées vers le substrat. À l'intérieur de trois heures, un échantillon de 1 cm par 1 cm du matériau supraconducteur (ou autre) pourra être formé. Un des avantages de cette méthode réside dans sa courte durée. Aussi, notons que la cible utilisée peut être installée sur un carrousel comprenant plusieurs cibles avec d'autres matériaux. Ainsi, nous pouvons placer plusieurs composés différents et superposer des couches de divers matériaux les unes par-dessus les autres. La méthode permet même d’étudier des phases stables seulement sous forme de couches minces. Tous les oxydes avec des propriétés exotiques potentiellement exploitables dans des circuits électroniques sont donc accessibles par cette technique. Ces matériaux pourraient amener des solutions aux problèmes prévus dans la miniaturisation des composants électroniques (nanotechnologie).

Diagramme de phase 
d'un matériau en variant une valeur stoechiométrique.

Ainsi, avec leurs caractéristiques particulières, ces deux méthodes permettront aux chercheurs du département de fabriquer sur place la majorité des échantillons dont ils auront besoin. L'étude des propriétés et des comportements des supraconducteurs et autres oxydes bénéficiera de ce savoir-faire. Parmi ces comportements, un en particulier capte l'attention de Patrick Fournier. Il s'agit de la transition entre l'état antiferromagnétique et supraconducteur des matériaux comme Pr2-xCexCuO4+d, qui sont constitués de x électrons par unité de formule. En effet, cet oxyde change d'état et de température critique selon le nombre d'atomes de cérium (Ce) ayant substitués le praséodyme (Pr). Pour ce composé particulier, la transition se produit lorsque x ~ 0,12. Cependant, il est extrêmement difficile de faire en sorte que x prenne exactement cette valeur avec les cristaux, de là l'utilité des couches minces (d'où la partie incertaine du diagramme de phases ci-contre, représenté par un point d'intérrogation). Les questions : « Que se passe-t-il entre x = 0,12 et x = 0,13? », « Le matériau est-il antiferromagnétique, supraconducteur ou les deux? » représentent donc d'un grand intérêt pour la compréhension de ces matériaux avancés.

Grâce à ces deux méthodes de croissance des matériaux, le Département de physique se positionne avantageusement dans la recherche de nouveaux matériaux. Après avoir terminé l'installation de tout ce nouveau matériel, Patrick Fournier pourra se concentrer sur d'autres études, notamment en rapport avec les propriétés des matériaux ainsi que la fabrication de composants électroniques à base d'oxydes. La nanofabrication sur les couches minces produites ici deviendra possible et combinera des intérêts à la fois fondamentaux et appliqués. Espérons que tout ira bien…

Marie-Christine Gosselin j