L'Attracteur     No. 11    Hiver 2001 LA REVUE DE PHYSIQUE

ISSN 1207-0203

L'ABC de la supraconductivité

En 1911, le physicien néerlandais Heike Kamerlingh-Onnes a découvert, en refroidissant le mercure à 4,11 K, que sa résistance électrique chute brutalement à une valeur extrêmement faible: il devient supraconducteur. La résistivité d'un matériau à l'état supraconducteur est nulle, à l'intérieur d'une marge d'erreur au moins1012 fois plus petite que la resistivité typique d'un métal. La température en deça de laquelle un matériau est supraconducteur est appelée température critique et notée Tc. Depuis 1911, des propriétés supraconductrices ont été découvertes sur plusieurs autres matériaux, chacun ayant sa propre température critique. L'élément simple ayant la température critique la plus élevée est le niobium, qui passe à l'état supraconducteur à 9,26 K. Avant 1986, le Nb3Ge était reconnu comme étant le matériau supraconducteur avec la plus haute Tc, soit 23,3 K.

Un supraconducteur baignant dans de l'azote liquide « repousse » un aimant Les supraconducteurs peuvent conduire parfaitement le courant électrique, sans perte d'énergie. Beaucoup d'applications pratiques de la supraconductivité reposent sur cette propriété, en fait toutes celles qui reposent sur l'utilisation d'électro-aimants supraconducteurs, qui peuvent produire de fort champs magnétiques sans apport constant d'énergie (à l'exception de celle nécessaire pour maintenir le matériau sous sa température critique). Mais là n'est pas l'essentiel. Ce qui caractérise plus fondamentalement un supraconducteur est sa capacité d'exclure les lignes de champ magnétique: si on plonge un objet supraconducteur dans un champ magnétique, un courant de surface apparaît qui produit un contre champ magnétique tel que le champ magnétique total est nul à l'intérieur de l'objet. C'est en 1939 que W. Meissner et R. Ochsenfeld ont observé cet effet (appelé effet Meissner) sur le plomb. C'est sur l'effet Meissner que se base la lévitation magnétique.

Plusieurs années passèrent avant qu'une explication microscopique de la supraconductivité voit le jour. En 1956, Leon Cooper a montré que dans un solide, les électrons peuvent s'attirer mutuellement pour former ce que l'on nomme une paire de Cooper. Cela n'est cependant possible que s'ils sont assez éloignés l'un de l'autre pour que leur interaction avec les phonons (vibrations du réseau cristallin, voir l'article du numéro 9 de l'Attracteur à ce sujet) prime sur leur répulsion coulombienne (électrique). L'amplitude de la force attractive engendrée entre les électrons d'une paire de Cooper par les phonons décroît avec l'augmentation de la température. L'année suivante, John Bardeen, Leon Cooper et Robert Schrieffer ont développé la théorie BCS en se basant sur les paires de Cooper. Ils trouvèrent que les électrons, pour s'apparier, doivent avoir des quantités de mouvement et des spins opposés. De plus, ils montrèrent qu'il n'y a qu'à 0 K et en l'absence de champ magnétique externe et de courant électrique interne que les électrons sont tous appariés. Dans le cas contraire, une proportion non nulle des électrons sont célibataires. Notons que les électrons d'une paire de Cooper sont distants d'au moins 10-6 m, soit près de 200 fois la distance interatomique. Dans un conducteur ordinaire, la tension appliquée communique aux électrons une quantité de mouvement qui est transmise au réseau cristallin par le biais des collisions entre les électrons et les phonons. Ainsi, l'énergie fournie par le champ électrique est dissipée en vibrations thermiques. Les paires de Cooper, elles, ne peuvent céder de l'énergie aux phonons, car ceci demanderait aux électrons de la paire un passage vers un autre état quantique, état quantique heureusement inaccessible en raison de sa trop grande énergie en comparaison de celle de la paire de Cooper.

Jusque dans les années soixante, les scientifiques étaient persuadés que tous les supraconducteurs agissaient de la même façon en présence d'un champ magnétique. Ils savaient que la supraconductivité disparaît si elle est soumise à un champ magnétique plus intense qu'un certain champ critique Bc, et que la valeur de ce champ critique dépend de la température. Ainsi, l'objet pouvait se trouver soit dans l'état normal, soit dans l'état supraconducteur, selon la valeur de la température et du champ magnétique appliqué. Aujourd'hui, on qualifie les matériaux se comportant de cette façon de supraconducteurs de première espèce ou de premier type. Cependant, tel n'est pas le cas pour tous les supraconducteurs. En 1962 un deuxième type de supraconducteurs a été découvert. Ces matériaux de deuxième espèce possèdent deux champs magnétiques critiques (BC1 et BC2) dépendants de la température. Ainsi, ils peuvent se trouver dans trois états : l'état normal, l'état supraconducteur et l'état mixte. Sous BC1, le matériau est complètement à l'état supraconducteur. Lorsqu'il franchit ce champ magnétique critique, il se retrouve à l'état mixte, c'est-à-dire que le flux magnétique commence à pénétrer dans l'objet à travers de minces faisceaux appelés vortex. Le centre de chacun des vortex est caractérisé par une conductivité normale, et le flux les traversant est gardé constant par des boucles de courant persistant se formant sur leur circonférence. La densité des vortex augmente en proportion du champ appliqué. Si ce champ dépasse BC2, le matériau atteint l'état normal, de la même façon que s'il avait outrepassé la température critique sans être soumis à un quelconque champ magnétique extérieur.

Pendant 15 ans, la théorie BCS a permis aux scientifiques de bien comprendre le monde de la supraconductivité, donc de pouvoir prédire des propriétés des supraconducteurs et d'élaborer de nouvelles expériences. Mais cette histoire ne s'arrête pas là. Avec l'entrée en scène des supraconducteurs à haute température critique, en 1986, l'étude de la supraconductivité a connu un essor fulgurant. Cela commença par l'oxyde Ba-La-Cu-O qui avait une température critique de 34 K. Mais ce record fut rapidement battu quelques mois plus tard par le Y-Ba-Cu-O à 92 K puis par le Tl-Sr-Ca-Cu-O avec ses 125 K en 1988. Avec ces nouveaux composés supraconducteurs, le plus important est que nous n'avons plus besoin de les refroidir avec de l'hélium liquide (4 K), car l'azote liquide (77 K) suffit! Ce nouveau mode de refroidissement comporte plusieurs avantages. Présent en grande quantité dans l'atmosphère, l'azote, contrairement à l'hélium, ne coûte rien. Liquifié, l'azote se manipule plus aisément que l'hélium. Cependant, plus chaud ne veut pas nécessairement dire plus performant. Effectivement, le courant critique pouvant circuler dans ce type de supraconducteur est décevant. Le courant critique est le courant au-delà duquel la force induite par lui est supérieure à la force d'attachement des vortex, donc ces derniers commencent à se déplacer en créant une certaine résistance dans le matériau, qui perd alors ses propriétés supraconductrices (les supraconducteurs à haute température critiques sont tous de deuxième espèce). De plus, le bruit électronique associé à ces supraconducteurs peut être un obstacle à la réalisation de certains appareils, qui se contenteront d'une température critique plus faible au profit d'une meilleure précision. Ainsi, même si des supraconducteurs à haute température existent, leurs usages demeurent restreints. À ce jour, la plus haute température critique reproductible associée à un supraconducteur atteint 164 K (-109 C), et ce en utilisant du mercure hautement pressurisé. Enfin, il n'existe encore aucune explication satisfaisante de la supraconductivité dans ces matériaux, mais comme on a dû attendre 40 ans avant la naissance de la théorie BCS pour expliquer la supraconductivité ordinaire, les 15 années écoulées depuis la découverte des supraconducteurs à haute température ne doivent pas nous décourager!

Finalement, même si les supraconducteurs à haute température ne sont pas d'aussi bonne qualité et précision que les supraconducteurs conventionnels, leur découverte a été d'une grande importance dans l'histoire de la supraconductivité. Avant elle, dans les années 1970, plusieurs disaient que les avancements étaient devenus impossibles dans le domaine de la supraconduction. Mais ils s'étaient trompés. Aujourd'hui, le même discours est repris, mais qui sait si le rêve d'un supraconducteur à la température ambiante ne se réalisera?

Marie-Christine Gosselin j

Bibliographie

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