L'Attracteur     No. 13     Hiver 2002
LA REVUE DE PHYSIQUE
ISSN: 1205-8505

LE NEUTRINO, CE SNO REAU*!

      Enfin des résultats! Récemment, des physiciens du Canada, du Royaume-Uni ainsi que des États-Unis regroupant leurs efforts au S.N.O. (Sudbury Neutrino Observatory), l’observatoire de neutrinos à Sudbury, ont présenté leur première observation avec un surprenant succès. En effet, ceux-ci amènent la solution à une énigme vieille de plus de trente ans, le problème des neutrinos solaires, le tout en révélant de nouvelles propriétés des neutrinos.

     Proposé par Wolfgang Pauli vers 1930, le neutrino se présenta comme étant une solution possible à la désintégration ß (prononcé, bêta), véritable casse-tête de la physique nucléaire à l’époque. En étudiant ce phénomène, on se rendit compte que la quantité de mouvement ainsi que l’énergie n’étaient pas conservées lors de cette réaction nucléaire. « Le petit neutre », ainsi nommé par Enrico Fermi, se présenta comme étant une particule neutre sans masse (ou possédant une masse très faible), requise afin de maintenir le principe de la conservation d’énergie, la quantité de mouvement et le moment cinétique. On n'observa cependant pas cette dite particule avant les années cinquante.

     De la famille des leptons, cette petite particule de charge neutre n’interagit donc que par le biais de la force faible. Il est ainsi extrêmement rare d’observer une interaction des neutrinos avec la matière. Toutefois, ces petits timides se trouvent presque partout! Le Soleil, générant les neutrinos par le biais de la désintégration ß et d’autres réactions nucléaires, émet approximativement 1038 neutrinos par seconde. Ce qui veut dire que quelques billions de neutrinos vous traversent au moment où vous lisez ces lignes! Quoique difficilement observables, ces particules demeurent très utiles dans l’étude du comportement solaire ainsi que plusieurs phénomènes astronomiques. Par le passé, maints détecteurs ont été construits en vain : on ne détecta qu’une fraction des neutrinos auxquels on s’attendait. Soit la théorie solaire est erronée, soit les instruments utilisés n’étaient pas adéquats… Quoi qu’il en soit, quelque chose cloche…

     Or, c’est là qu’intervient le S.N.O., fraîchement construit et sensible aux trois types de neutrinos : l’électron-neutrino, le muon-neutrino et le tau-neutrino. Le regroupement de physiciens du S.N.O. confirme la récente théorie selon laquelle la nature du neutrino oscillerait pendant son voyage Soleil-Terre. « Nous sommes maintenant très confiants que cette anomalie n’est pas causée par un problème avec le modèle solaire, mais bien par un changement dans les neutrinos eux-mêmes lors du voyage partant du cœur du Soleil jusqu’à la Terre » affirme le Dr Art McDonald, Directeur du projet S.N.O. et professeur en physique à l’Université Queens à Kingston, en Ontario. Les anciennes données ne pouvant aboutir à de telles conclusions, les nouvelles mesures prises par le S.N.O., combinées aux résultats antérieurs, révèlent clairement cette transformation et démontrent que le nombre total d’électrons-neutrinos produits par le Soleil ayant été observés concorde maintenant avec le modèle solaire. Ce snoreau de neutrino-électron se « déguisait » en d’autres types de neutrinos! Cette nouvelle propriété des neutrinos n’apparaissait nullement dans le modèle standard des particules élémentaires : les théoriciens devront se relever les manches afin d’incorporer ces nouvelles informations à une théorie plus complète.
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Vue extérieure de la sphère de photodétecteurs de 18 m de diamètre qui a servi à mieux cerner la réelle identité du neutrino. Dans le coin inférieur droit, un schéma artistique des installations à Sudbury.

     Ils auront aussi à réviser la plupart des livres, car cette récente transformation des neutrinos mène directement à la conclusion que les neutrinos ont une masse! D’accord, elle reste extrêmement petite, mais au nombre de neutrinos se trouvant dans l’Univers… ça fait quand même un certain poids! Les études démontrent, en effet, que l'électron-neutrino posséderait, au maximum, une masse de 2.8 eV. En combinant ces récentes études avec l’évaluation de la différence de masse entre le tau-neutrino et le muon-neutrino, effectué au Superkamiokande, les scientifiques du SNO, armés de nouvelles données, évaluèrent les masses des trois espèces de neutrinos. La somme des masses se situe entre 0.05 et 8.4 eV (en comparaison, celle d’un électron vaut environ 511 000 eV). Ce faisant, les calculs démontrent aisément que la contribution des trois types de neutrinos à la masse manquante de l’Univers n’oscillerait qu’entre 1% et 18%. Il en reste ainsi encore beaucoup à « trouver » et le défit demeure toujours irrésolu. –Zut! –

      Comment ont-ils réussi leur coup? En enfermant 1000 tonnes d’eau lourde purifiée dans une sphère en acrylique de 12 mètres de diamètre, plongée elle-même dans un gigantesque bac d’eau pure de 34 mètres de haut par 22 mètres de diamètre. Englobant la sphère d’acrylique, se trouvent 9456 photosenseurs supportés par une sphère géodésique de 17 mètres de diamètre (voir la page couverture). Les photosenseurs détectent les petits éclairs lumineux émis lorsqu’un neutrino interagit avec une molécule d’eau lourde. Bien que plusieurs billions de billions de billions de neutrinos entrent en contact avec la boule d’eau, on enregistre en moyenne qu’une dizaine de collisions par jour… Ce qui fait de la collecte de données, un long et méticuleux travail. La caractéristique la plus importante du système s’avère certainement sa capacité à déterminer si les neutrinos ont changé de nature pendant leur petit voyage, fournissant ainsi les précieuses réponses quant à la nature des neutrinos ainsi qu’à la théorie solaire.


DWM

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* Snoreau : canadianisme signifiant espiègle, malicieux, sans méchanceté

Bibliographie