L'Attracteur     No. 13     Hiver 2002
LA REVUE DE PHYSIQUE
ISSN: 1205-8505

SHERBROOKE ATTIRE UN CHERCHEUR DE GRAND RENOM EN SUPRACONDUCTIVITÉ

     Le Département de physique de l’Université de Sherbrooke jouit depuis une vingtaine d’années d’une solide réputation internationale pour la qualité de la recherche qu’on y fait en physique de la matière condensée. Cette qualité et cette renommée augmenteront encore d’un cran à partir de juillet 2002, avec l’arrivée à Sherbrooke d’un chercheur très réputé en supraconductivité, le professeur Louis Taillefer, qui se joindra au corps professoral sherbrookois. Le professeur Taillefer est, depuis une dizaine d’années, un leader reconnu internationalement dans l’étude expérimentale de la supraconductivité dans les matériaux nouveaux que sont les composés dits à fermions lourds ou les supraconducteurs à haute température critique (voir le numéro 11 de L’Attracteur pour une introduction à la supraconductivité).

Photographie du professeur Louis Taillefer      Le professeur Taillefer a réalisé ses travaux de doctorat à l’Université de Cambridge, au Royaume-Uni. Il a, par la suite, obtenu un poste de chercheur à l’Institut Laue-Langevin de Grenoble, puis un poste de professeur à l’Université McGill et, depuis 1998, à l’Université de Toronto. Il a reçu la prestigieuse bourse Steacie du Conseil national de recherche en science et génie (CRSNG) en février 1998. Depuis 1998, il est directeur du programme de supraconductivité de l’Institut canadien de recherches avancées, qui réunit une trentaine de chercheurs canadiens dans le domaine, dont quatre seront dorénavant basés à Sherbrooke. C’est notamment en raison de la présence à Sherbrooke d’un groupe de recherche bien établi et dynamique sur la supraconductivité que le professeur Taillefer a pris la décision de se joindre à notre Département de physique. Le programme fédéral des Chaires de recherche du Canada lui a attribué en mars 2002 la Chaire de recherche sur les matériaux quantiques. Il devient donc, avec le professeur André-Marie Tremblay, le deuxième chercheur du Département de physique à détenir l’une de ces prestigieuses chaires de recherche.

Le 
professeur Taillefer examine une pièce de son équipement      Les travaux du professeur Taillefer et de son équipe utilisent les propriétés de transport de charge et de chaleur pour sonder le comportement des électrons dans les matériaux. Expliquons brièvement. Dans un matériau solide, ce sont les électrons qui transportent la charge électrique d’un point à un autre, donc ils sont la source de la conductivité électrique. On mesure cette propriété en appliquant une différence de potentiel entre deux points d’un échantillon et en mesurant le courant électrique qui en résulte; on en tire la résistivité du matériau, soit l’inverse de la conductivité. De manière analogue, on peut générer un courant de chaleur en appliquant une différence de température entre deux points d’un échantillon. Cette chaleur peut être portée soit par les électrons, soit par des vibrations des ions (ou phonons), mais la contribution des électrons domine. C’est pour cette raison qu’un bon conducteur d’électricité est aussi un bon conducteur de chaleur. Aux très basses températures, la contribution des phonons est petite (ou bien contrôlée) et on peut essentiellement dire que la chaleur se transporte dans le matériau exactement comme la charge, car ce sont les mêmes objets (les électrons) qui portent les deux quantités. Ceci est connu depuis le 19ème siècle et constitue la loi de Wiedemann-Franz : le rapport entre la conductivité thermique k et la conductivité électrique s est proportionnel à la température absolue T :  k/s=(p2/3)(kB/e)2T, où kB est la constante de Boltzmann et e la charge élémentaire. En testant cette loi dans certains supraconducteurs à base d’oxydes de cuivre (généralement connus sous le nom de supraconducteurs à haute température critique), le professeur Taillefer a eu la surprise de voir qu’elle est mise en échec! C’est la première fois qu’on observe une violation de cette loi jusqu’ici universelle. Cela signifie que l’objet qui porte la charge (ou la chaleur) n’est pas un électron individuel, mais un objet encore mystérieux, probablement une structure complexe formée par un très grand nombre d’électrons, qui se forme spontanément lorsque le matériau étudié est refroidi près du zéro absolu. L’un des objectifs de la physique de la matière condensée est justement de comprendre ces structures complexes, ces états exotiques qui apparaissent aux très basses températures.

     Comme les études expérimentales du professeur Taillefer nécessitent de très basses températures, l’appareil essentiel de son laboratoire sera un réfrigérateur à dilution, qui peut refroidir des échantillons jusqu’à des températures aussi basses que dix milliKelvin, c’est-à-dire dix millièmes de degrés au-dessus du zéro absolu. Les lecteurs de L’Attracteur auront l’occasion, dans un prochain numéro, d’en apprendre plus sur la recherche du froid et sur les réfrigérateurs hors série…

David Sénéchal