Le Département de physique de l’Université de Sherbrooke
jouit depuis une vingtaine d’années d’une solide réputation internationale pour la
qualité de la recherche qu’on y fait en physique de la matière condensée. Cette
qualité et cette renommée augmenteront encore d’un cran à partir de juillet 2002,
avec l’arrivée à Sherbrooke d’un chercheur très réputé en supraconductivité, le
professeur Louis Taillefer,
qui se joindra au corps professoral sherbrookois.
Le professeur Taillefer est, depuis une dizaine d’années, un leader reconnu
internationalement dans l’étude expérimentale de la supraconductivité dans
les matériaux nouveaux que sont les composés dits à fermions lourds ou les
supraconducteurs à haute température critique (voir le
numéro 11 de
L’Attracteur pour une introduction à la supraconductivité).
Le professeur Taillefer a réalisé ses
travaux de doctorat à l’Université de Cambridge, au Royaume-Uni.
Il a, par la suite, obtenu un poste de chercheur à l’Institut
Laue-Langevin de Grenoble, puis un poste de professeur à l’Université
McGill et, depuis 1998, à l’Université de Toronto. Il a reçu la
prestigieuse bourse Steacie du Conseil national de recherche en
science et génie (CRSNG) en février 1998. Depuis 1998, il est
directeur du programme de supraconductivité de l’
Institut canadien
de recherches avancées, qui réunit une trentaine de chercheurs
canadiens dans le domaine, dont quatre seront dorénavant basés à
Sherbrooke. C’est notamment en raison de la présence à Sherbrooke
d’un groupe de recherche bien établi et dynamique sur la
supraconductivité que le professeur Taillefer a pris la décision
de se joindre à notre Département de physique. Le programme
fédéral des Chaires de recherche du Canada lui a attribué en
mars 2002 la Chaire de recherche sur les matériaux quantiques.
Il devient donc, avec le professeur André-Marie Tremblay, le
deuxième chercheur du Département de physique à détenir l’une
de ces prestigieuses chaires de recherche.
Les travaux du professeur Taillefer et de son équipe utilisent les propriétés
de transport de charge et de chaleur pour sonder le comportement des électrons
dans les matériaux. Expliquons brièvement. Dans un matériau solide, ce sont
les électrons qui transportent la charge électrique d’un point à un autre,
donc ils sont la source de la conductivité électrique. On mesure cette
propriété en appliquant une différence de potentiel entre deux points
d’un échantillon et en mesurant le courant électrique qui en résulte;
on en tire la résistivité du matériau, soit l’inverse de la conductivité.
De manière analogue, on peut générer un courant de chaleur en appliquant
une différence de température entre deux points d’un échantillon.
Cette chaleur peut être portée soit par les électrons, soit par des
vibrations des ions (ou phonons), mais la contribution des électrons
domine. C’est pour cette raison qu’un bon conducteur d’électricité
est aussi un bon conducteur de chaleur. Aux très basses températures,
la contribution des phonons est petite (ou bien contrôlée) et on peut
essentiellement dire que la chaleur se transporte dans le matériau
exactement comme la charge, car ce sont les mêmes objets (les électrons)
qui portent les deux quantités. Ceci est connu depuis le 19ème siècle
et constitue la loi de Wiedemann-Franz : le rapport entre la conductivité
thermique
k et la conductivité électrique
s
est proportionnel à la température absolue
T :
k/
s=(
p2/3)(
kB/e)
2T,
où
kB est la constante de Boltzmann et
e la charge élémentaire. En testant cette loi dans certains
supraconducteurs à base d’oxydes de cuivre (généralement connus sous
le nom de supraconducteurs à haute température critique), le professeur
Taillefer a eu la surprise de voir qu’elle est mise en échec! C’est la
première fois qu’on observe une violation de cette loi jusqu’ici
universelle. Cela signifie que l’objet qui porte la charge (ou la chaleur)
n’est pas un électron individuel, mais un objet encore mystérieux,
probablement une structure complexe formée par un très grand nombre d’électrons, qui se forme spontanément
lorsque le matériau étudié est refroidi près du zéro absolu.
L’un des objectifs de la physique de la matière condensée est
justement de comprendre ces structures complexes, ces états
exotiques qui apparaissent aux très basses températures.
Comme les études expérimentales du professeur
Taillefer nécessitent de très basses températures, l’appareil essentiel de
son laboratoire sera un réfrigérateur à dilution, qui peut refroidir des
échantillons jusqu’à des températures aussi basses que dix milliKelvin,
c’est-à-dire dix millièmes de degrés au-dessus du zéro absolu. Les lecteurs
de
L’Attracteur auront l’occasion, dans un prochain numéro,
d’en apprendre plus sur la recherche du froid et sur les réfrigérateurs hors série…
David Sénéchal