L'Attracteur     No. 13     Hiver 2002
LA REVUE DE PHYSIQUE
ISSN: 1205-8505

UNE VAGUE DE GRAVITÉ

Des halos de gravité...
     La gravité … cette force de la nature, dont l’étude profonde semble continuellement échapper à l’homme, recèle encore aujourd’hui bien des secrets. Par analogie, les phénomènes électromagnétiques (dont la « lumière ») ont d’abord été observés sous forme de rayons, ensuite on découvrit leur comportement ondulatoire et on finit par en quantifier l’énergie en petits paquets (quanta). Rayons, ondes, particules définissent tous la lumière et, dans l’ensemble, permettent d’expliquer assez bien ses différents comportements. La nature ondulatoire des interactions élémentaires (voir Qui est le plus fort?) ne recèle aujourd’hui aucun secret et leur quantification s’effectue d’une manière naturelle. Les preuves appuyant ces théories ne manquent pas. Or, encore une fois, l’irréductible gravité manque à l’appel : impossible d’en révéler la nature ondulatoire et, encore moins, quantique de cette force si répandue aux échelles macroscopique et astronomique… L’objectif : découvrir et prouver l’existence des ondes gravitationnelles.

     Ces ondes formeraient, comme leur nom l’indique, des ondulations dans le continuum espace-temps, à la manière de houles créées par une pierre jetée dans l’eau. Comme l’expérience le prouve, l’accélération de particules chargées électriquement produit des ondes électromagnétiques. Parallèlement, par vraisemblance, les déplacements de masses distantes, tels qu’une collision de trous noirs ou l’explosion de supernovae, formeraient des ondes gravitationnelles. Celles-ci sauraient donc fournir des informations inédites, trahissant leurs violentes origines tout en apportant plusieurs renseignements sur la gravité elle-même! À cause de la faiblesse des ondes gravitationnelles, seuls des mouvements suffisamment rapides impliquant des masses astronomiquement appréciables sauraient être détectés par les instruments actuellement à notre portée technologique. Les ondes gravitationnelles diffusées par un ballet orbital d’étoiles ou par la Terre évoluant autour du Soleil demeureraient, pour l’instant, indécelables.

     Oh, l’idée ne date pas d’hier! Dès 1916, Albert Einstein, armé de sa théorie de la relativité générale, prédit l’existence de ces vibrations de l’espace-temps. Malheureusement pour lui, la technologie ne devient suffisamment avancée que vers les années 1990 pour tenter de confirmer expérimentalement les précédentes élucubrations. Sans jamais avoir été observées directement, on suspecta leur influence sur le système PSR 1913+16, découvert en 1974. Deux objets massifs, probablement des étoiles à neutrons très rapprochées, composent ce système bi-pulsar. Heureusement, l’une de ces deux étoiles émet des signaux radios de manière régulière, ce qui permet de connaître avec précision la période d’orbite entre les deux objets. Or, la période orbitale observée décroît de manière consistante avec la perte énergétique qu’engendreraient les ondes gravitationnelles émises par le mouvement elliptique. Autrement dit, ces ondes apporteraient avec elles une fraction de l’énergie du système et, dus à cette fuite d’énergie, les étoiles en orbite isolée se rapprocheraient graduellement. Comme elles convergent l’une vers l’autre, la période de leur orbite stellaire diminue. Ces observations, jusqu’à maintenant le meilleur soutien à la théorie des ondes gravitationnelles, proviennent des détenteurs du prix Nobel de physique 1993, Joseph Taylor et Russell Hulse.

     « Si elles semblent SI faibles et à ce point indécelables, à quoi diantre pourraient-elles nous servir, ces ondes gravitationnelles? » À répondre à plus de questions qu’il n’y paraît. Sans vous faire part des détails, en physique théorique, la constatation d’ondes gravitationnelles entraînerait une confirmation encore plus sérieuse de la relativité générale ainsi que la possibilité de confirmer (ou de réfuter) plusieurs de ses aspects. Qui plus est, l’étude de ces mêmes ondes permettrait de vérifier une autre des théories einsteinniennes, voulant que la propagation de la gravité se fasse à vitesse luminique. Côté astronomie, de telles constatations conduiraient à la confirmation irréfutable des trous noirs ainsi qu’à l’observation de multiples phénomènes pratiquement invisibles aux ondes électromagnétiques. À bien y penser, cela équiperait les astronomes d’un nouvel outil. Souvenons-nous de l’incroyable révolution amenée par l’arrivée des télescopes à ondes invisibles : radio, infrarouge, rayons X et rayons gamma. Tout en sachant que seulement 10% de notre Univers se révèle aux ondes électromagnétiques, imaginez les surprises qu’un « télescope » à ondes gravitationnelles, sensible au déplacement des masses, apporterait!

     « Ça y est! Je suis convaincu! Alors, comment puis-je déceler les ondes gravitationnelles chez moi? » Eh bien, contrairement aux ondes électromagnétiques qui faiblissent lors de chaque interaction avec la matière rencontrée durant leur trajet dans l’espace, l’intensité des ondes gravitationnelles perdureraient lors du trajet : elles voyagent directement à travers l’espace-temps! Elles modifieraient pour un très court laps de temps, les propriétés spatio-temporelle des objets qu’elles rencontreraient et en resurgiraient indemnes. Sachez donc que la méthode la plus facile pour révéler leur présence consiste à mesurer la légère distorsion spatiale qu’elles produisent (en faisant changer la distance entre deux points donnés dans l’espace, autrement dit). Tout d’abord, vous devrez vous armer d’une excellente règle, car ces ondes engendreraient théoriquement une variation spatiale de l’ordre d’un milliardième de milliardième de mètre (10-18 m)… *Ouille!*

     Les premières tentatives virent le jour dans les années 1960. Joseph Weber (Université du Maryland) utilisa d’imposants cylindres d’aluminium, d’une tonne et demie, comme masse résonnante. La fréquence de résonance de ce dispositif se situait aux alentours de 1000 Hz, soit la fréquence prévue des « fortes » ondes de gravité induites par les explosions de supernovae ou de certains systèmes binaires d’étoiles à neutron. Fâcheusement, les « bruits » thermiques et mécaniques dans l’environnement de ce genre de détecteurs camouflent énormément le signal. De plus, les cylindres ne répondent qu’aux ondes induites perpendiculairement à leur axe et ce seulement qu’aux fréquences avoisinant 1000 Hz. Le domaine d’utilisation de ces balourdes caisses de résonances parait alors bien restreint.
Interférométrie
Absence d’ondes gravitationnelles  
Présence d’ondes gravitationnelles


     Récemment, les efforts se sont plutôt déployés vers l’interférométrie. Ce principe fort simple met en relief la parfaite réflexion entre deux miroirs des rayons issus d'un laser. En déplaçant légèrement les miroirs, la distance entre les deux paires de miroirs ne correspond plus parfaitement, alors la phase d’interférence entre les rayons change produisant ainsi un signal (voir ci-haut). Un récent laboratoire construit en 1999, le LIGO, acronyme de Laser Interferometer Gravitational-Wave Observatory (observatoire d’ondes gravitationnelles par interférométrie laser), tentera bientôt de détecter des ondulations de l’espace-temps. Le système demeure fort simple à la base, mais l’ampleur à laquelle il est déployé, relève du spectaculaire et défie toute technique; mesurer le déplacement de ces deux miroirs distants de 4 Km, avec une époustouflante précision de 10-18 m (un millième de fois le diamètre d’un noyau d’hydrogène)! Pour y parvenir, on a construit le plus grand interféromètre au monde en plaçant sous vide environ 8500 m3 de tuyauterie! La lumière vient d’un laser de haute puissance, à base solide, doté d’une fréquence extrêmement régulière : sur un millième de seconde, la fréquence du laser ne doit varier au plus que quelques millionièmes de cycles. On fait donc une pierre deux coups : l’installation devient l’endroit idéal pour tester la stabilité des lasers à haute puissance et pour établir de nouveaux étalons en matière de développement laser. Placés sur tout le système, des isolateurs de vibrations terriblement efficaces atténuent tout bruit à un point tel que les vibrations des particules en suspension dans l’air ambiant ne causent plus de tracas. Dans le but de s’assurer que leurs mesures proviennent bien des ondes gravitationnelles et non des vibrations du dispositif, le LIGO est séparé en deux sections, quasi identiques, mais séparées par 2000 Km. Une installation est donc située dans la réserve d’Hanford, à Washington, et l’autre, dans une paroisse de Livingston, en Louisiane. Depuis la fin de sa construction, une équipe travaille à l’ajuster. Les dirigeants du projet prévoyaient les premières lectures pour 2001, mais elles furent reportées pour 2002 (et, espérons-le, pas plus tard) à cause des difficultés rencontrées.
LIGO, vu des airs
Les installations de Livingston et en mortaise, une vue éloignée.

Gracieuseté de LIGO Laboratory/Caltech

Le projet LISA
LISA, confortablement installée à quelques centaines de milliards de kilomètres du Soleil...
     La NASA y met aussi son grain de sel et son fastidieux programme promet! Le projet LISA, Laser Interferometer Space Antenna (Antenne spatiale d’interférométrie laser), consisterait en trois satellites distants de 5 millions de kilomètres entre eux en empruntant la forme d’un triangle équilatéral. Le centre de cette figure errerait dans un plan elliptique à 1UA (1 Unité Astronomique » 1,496 × 1011 cm ) du Soleil, le tout traînant 20 degrés derrière la Terre. Une fois encore, l’objectif de LISA demeure la détection des ondes gravitationnelles galactiques et extragalactiques. D’une impressionnante envergure, le projet LISA atteindra assurément des lectures de précisions inégalées. Si elle est approuvée, la petite LISA devrait voir le jour en 2005 et on espère un lancement dès 2008! À suivre…


DWM

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Bibliographie