L'Attracteur     No. 2     Hiver 1996 LA REVUE DE PHYSIQUE ISSN 1207-0203
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Les filles en physique
entrevue avec Sylvie Lefebvre


Lors de cette entrevue accordée à notre journaliste Catherine Pepin, Sylvie Lefebvre était à la maîtrise en physique. Elle revenait récemment d'un séjour en France où une partie de sa recherche a été effectuée. Sylvie est maintenant inscrite au doctorat en physique expérimentale dans le cadre d'un projet de collaboration avec le Laboratoire de Physique des solides à Orsay en France.

Il faut aussi souligner le parcours qu'a suivi Sylvie. Elle s'est inscrite à sa première année universitaire en sciences appliquées. Après 3 sessions, elle s'est aperçue que ce qu'elle voulait vraiment faire c'était de la physique et c'est à ce moment qu'elle a modifié son choix de programme.



(C.P.) Qu'étudie-t-on en physique?

(S.L.) La définition de la physique est... C'est une question difficile! On essaie d'étudier le pourquoi de certains phénomènes qu'on voit tous les jours et d'autres qu'on voit moins souvent. On tente d'en expliquer les raisons profondes; d'aller plus loin que l'ingénieur qui se contente simplement d'appliquer ses formules.

(C.P.) Quel est ta description d'un physicien typique?

(S.L.) Maintenant que je suis dans le domaine, je sais qu'il n'y a aucun stéréotype du physicien. Pour ce qui est du profil mental des personnes, il faut qu'elles soient curieuses, tenaces et surtout persévérantes. Le physicien doit aussi être très travaillant à moins d'être suffisamment génial pour tout faire en même temps. Mais ses principales qualités seraient la tenacité, la persévérance et la curiosité.

(C.P.) Quel est le milieu de travail d'un physicien?

(S.L.) Il y a des postes dans l'enseignement au secondaire, au cégep et à l'université (tout en faisant de la recherche). Dans les centres de recherche, comme l'INRS, ils engagent des physiciens. Il y a aussi pas mal d'industries qui font soit de la recherche, comme Bell ou Northern Telecom, ou du travail plus appliqué faisant appel au travail du physicien (comme en microélectronique). Il y a des portes ouvertes, mais il faut savoir se vendre. Quand tu rencontres un industriel et que tu lui demandes s'il a besoin d'un physicien, bien souvent il ne sait même pas ce que fait un physicien. Il faut savoir dire "Oui, ce que je fais pourrait vous être utile " et ce n'est pas évident pour un physicien. Je trouve que le physicien a de la difficulté à se vendre (bien sûr, je parle pour moi et quelques autres que je connais).

(C.P.) En quoi consiste en général le travail du physicien?

(S.L.) Généralement, les théoriciens font de la simulation numérique pour des compagnies. Ou encore, en microélectronique, le physicien fait du design de circuits intégrés. Il possède une façon de voir qui est différente de celle de l'ingénieur. Les physiciens creusent les phénomènes plus en profondeur. Ils ne se contentent pas de trouver une règle empirique et de l'appliquer. Souvent le travail du physicien, si ce n'est de faire vraiment le travail d'un ingénieur, est de fouiller plus loin les principes industriels. En fait, le physicien est souvent engagé pour la R-D [recherche-développement].

(C.P.) Comment réagis-tu face à l'image que les gens se font des physiciens? Trouves-tu cela comique, veux-tu plutôt les corriger?

(S.L.) Ça me fait rire, mais parfois, je trouve cela un peu dommage parce que ça effraie les gens. Mais ce n'est pas de leur faute parce qu'à chaque fois qu'on voit une annonce à la télévision présentant un scientifique, il porte toujours un sarrau avec des lunettes, les cheveux à la Einstein et l'air un peu fou, écrivant au tableau devant des fioles fumantes. C'est toujours l'image que les films et les publicités véhiculent. Quand j'étais étudiante, j'avais peur de rencontrer des gens comme cela dans les laboratoires. Je croyais que je ne serais jamais à la hauteur. Je ne me voyais pas dans un tel milieu. Lorsque tu décides d'étudier en physique, tu peux avoir l'impression de ne pas pouvoir y réussir parce que tu ne corresponds pas au stéréotype. C'est bien triste que les jeunes pensent ainsi parce que ce n'est pas vrai.

(C.P.) D'après toi, a-t-on intérêt à laisser les choses comme elles sont?

(S.L.) Non, parce que lorsque le physicien se présente devant un industriel, ce dernier ne reconnaît pas l'image stéréotypée qu'il se fait d'un scientifique. Cela peut influencer défavorablement le jugement de l'employeur. Je crois, qu'en entrevue, certains industriels peuvent choisir d'embaucher quelqu'un qui répond aux stéréotypes plutôt que quelqu'un qui n'est pas conforme à l'image qu'ils se font d'un scientifique, même si ce deuxième est peut-être plus compétent.

(C.P.) Penses-tu que les jeunes, au moment d'orienter leurs études au cégep ou à l'université, ne voulant pas se conformer au stéréotype, décident de ne pas aller en physique?

(S.L.) Oui, lorsque j'ai voulu venir étudier en physique, certains m'ont un peu découragée. Ils me disaient : "Attention, là-bas ce sont des fous, ils travaillent tout le temps, ce sont des gens renfermés, bizarres. Attention, tu t'embarques dans quelque chose de bien grave. Tu n'as pas le stéréotype pour aller là-dedans." Mais cela, c'était l'avis de gens en génie. Parmi ceux-ci, j'en ai rencontré qui ne connaissaient pas ce que faisait un physicien et qu'il existait un département de physique, ici sur le campus. C'est inquiétant. Que la population ne le sache pas, ça peut toujours aller parce qu'ils confondent chimiste et physicien. Mais un ingénieur qui ne sait pas ce que fait un physicien, je trouve cela grave. Ça pose des doutes sur sa formation et sur sa qualité de futur employeur. Il va toujours choisir des ingénieurs parce que tout ce qu'il connaît c'est le génie. Peut-être qu'un physicien ferait aussi bien l'affaire, et peut-être même plus, mais il ne pourra jamais le savoir.

(C.P.) Que faudrait-il faire, selon toi, pour permettre à la physique d'être accessible au grand public?

(S.L.) Les meilleurs véhicules sont probablement le cinéma et la publicité. Parfois, on voit des émissions comme Découverte [émission scientifique de Radio-Canada] qui rencontre des scientifiques et vulgarise leur domaine de recherche. Mais Découverte est une émission écoutée presqu'uniquement par les gens intéressés par le domaine scientifique. Le grand public la regarde très peu. Par contre, les nouvelles peuvent être un très bon véhicule. Cependant, lorsqu'on cite l'avis de scientifiques, on pourrait les interviewer et les présenter au public.

(C.P.) On déplore souvent que les filles ne soient pas assez présentes en science, principalement en physique. Pourquoi penses-tu que les filles en général ne s'intéressent pas à la physique?

(S.L.) Il y bien des filles qui ne viennent pas en physique parce qu'elles ne trouvent pas cela assez humain. Elles préfèrent la biologie ou les sciences humaines. On dirait que les filles cherchent un domaine où elles pourront rendre service. C'est pourquoi il y a surtout des filles en médecine. Je ne sais pas pourquoi, par contre, il y a autant de filles en mathématiques et en chimie, car ce n'est pas plus humain que la physique. Le stéréotype est peut-être trop fort en physique. En chimie, on voit souvent des femmes chimistes. Quand j'étais jeune, je pensais que Marie Curie était une chimiste parce qu'elle avait eu un Nobel en chimie, mais elle a aussi reçu un Nobel en physique et c'était une physicienne pure laine. Cependant, pour les gens en général, Marie Curie est une chimiste parce qu'elle portait un sarrau. C'est peut-être pour cela que les filles n'ont pas peur d'aller en chimie. En mathématiques, par ailleurs, on ne retrouve pas vraiment le stéréotype du savant fou. Les mathématiciens sont plus absents des stéréotypes. Ce qui fait peur aux filles en physique, c'est qu'elles ne se reconnaissent pas dans le stéréotype.

(C.P.) Que suggérerais-tu pour que la situation s'améliore?

(S.L.) Les stages " Physique infinie " durant les étés passés étaient un bon moyen de sensibiliser les filles à la physique. Le Département engageait deux ou trois filles chaque année pour travailler dans le domaine de la physique. C'est une bonne chose parce qu'étant sur place, tu t'aperçois que se sont des gens ordinaires qui y travaillent. Une autre façon serait, lors des visites des cégépiennes, de porter une attention particulière afin qu'elles rencontrent des étudiantes inscrites en physique et des chercheures qui travaillent au Centre de recherche. Ce serait un peu plus réconfortant s'ils voyaient des jeunes dans les bureaux ou dans les laboratoires*. Ils verraient bien que les étudiantes et les étudiants peuvent réussir et que ce n'est pas un domaine réservé aux génies.


* NDRL : les étudiantes et les étudiants du cégep qui nous visitent sont invités à rencontrer des étudiantes et des étudiants de tous les cycles.


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Dernière mise à jour: 18 mars 1996.

Mise en page par Gilbert Vachon

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