L'Attracteur     No. 2     Hiver 1996 LA REVUE DE PHYSIQUE ISSN 1207-0203
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Le mystère de la masse manquante de l'Univers

par Catherine Pepin

Si on pouvait peser l'Univers, nous obtiendrions une masse époustouflante équivalente à 100 milliards de fois celle de notre soleil. Cette grande quantité de matière lumineuse et baryonique (c.-à-d. composée de protons et de neutrons comme tout ce qui nous entoure) correspond à la quantité prédite par la théorie du Big Bang en ce qui a trait à la masse totale de l'Univers. Cependant, l'observation des galaxies spirales, consoeurs de la Voie Lactée, a ébranlé la perfection de ce modèle. En effet, pour que les étoiles demeurent groupées dans les galaxies, ces dernières devraient contenir dix fois plus de matière. Ainsi, 90 % de la masse de l'Univers serait invisible, se cachant sous une forme non détectable par nos meilleurs instruments…
Dans le passé, les astronomes croyaient que les étoiles orbitant près du brillant coeur de la galaxie voyageaient à grande vitesse par rapport aux étoiles plus éloignées du centre galactique. Cependant, suite à des observations sur la vitesse de rotation des galaxies, ils se sont aperçus que les étoiles éloignées du coeur conservaient une vitesse égale et même légèrement supérieure dans certains cas à celle des étoiles centrales. Si la majeure partie de sa masse était située dans son coeur, la dynamique de la Voie Lactée se calquerait sur celle de notre système solaire. Pour entraîner l'ensemble de la matière lumineuse dans le mouvement observé, il faudrait que la galaxie contienne dix fois plus de matière. Ce surplus de masse engendrerait une force gravitationnelle assez puissante, capable de générer le mouvement. La vitesse effarante des galaxies dans les amas galactiques est une autre incongruité qui nécessite la présence de la matière invisible pour être expliquée d'une manière cohérente. Tel un essaim de moustiques, ces galaxies voyagent à très grande vitesse. Dans de telles conditions, ces amas devraient normalement être très éphémères, explosant et répandant leur contenu en tous sens. Toutefois, cela ne concorde pas avec les observations; les galaxies demeurent bien groupées au sein des amas, ne cherchant pas à s'en échapper. Ici aussi, seule une force gravitationnelle dix fois plus puissante que celle créée par la matière visible des amas galactiques pourrait expliquer ce comportement pour le moins étrange.
Catherine Pepin en plein travail de rédaction.
La dynamique de la matière invisible est très mal connue. N'ayant jamais pu être observée directement, il est donc très difficile de la modéliser. Cependant, les astrophysiciens s'entendent généralement pour dire que la Voie Lactée serait entourée d'une sphère de matériel "noir" non détectable aux instruments. Celle-ci contiendrait les 90 % de masse manquant à la galaxie pour expliquer son mouvement. Ce carcan gravitationnel, composé de matière non encore définie, s'étendrait jusqu'à 50 kpc du centre galactique (alors que la galaxie ne possède que 20 kpc de rayon)†. La nature de ce mystérieux halo, entourant de la même façon toutes les galaxies et, suppose-t-on, tous les amas de galaxies, est la cible de bien des suppositions. Cependant, la validité de chacune de ces candidatures est assez incertaine. Ces sujets potentiels sont regroupés dans deux principales familles : la matière baryonique et la matière exotique. La première renferme des objets sombres surnommés MACHO (pour Massive Astronomical Compact Halo Object). La seconde est constituée de particules exotiques qui n'ont jamais été détectées mais qui constituent un enjeu important dans les théories cosmologiques.

Alors que l'on tente sans succès de découvrir les particules exotiques de la matière invisible dans de puissants accélérateurs atomiques, il est possible d'observer indirectement les MACHO. Grâce à la théorie de la relativité générale d'Einstein, on peut utiliser l'effet des microloupes gravitationnelles pour démontrer l'existence de ces fugaces objets. Lorsqu'un MACHO passe entre une étoile lointaine et la Terre, son champ gravitationnel courbe les rayons lumineux émanant de cette étoile. En les courbant, il les concentre, telle une loupe, vers l'observateur. Ce dernier peut remarquer une augmentation de la brillance de l'astre. L'augmentation et la diminution d'éclat créées par le MACHO sont symétriques dans le temps ainsi que dans la variation de lumière émise. Cependant, plus la "loupe" est grosse, plus ces variations seront importantes et plus elles dureront longtemps. Par contre, pour qu'un tel effet soit remarquable de la Terre, il faut que l'alignement "source-loupe-observateur" soit extrêmement précis. C'est l'une des raisons pour lesquelles les astronomes ont observé si peu de ces phénomènes.

Voyons maintenant les candidats potentiels pouvant combler la masse manquante de l'Univers. Les naines brunes pourraient composer la matière baryonique invisible. Celles-ci, possédant une masse variant entre celle de Jupiter et 0,06 masse solaire, sont des étoiles trop petites pour pouvoir briller. En effet, la force gravitationnelle en leur centre n'est pas suffisante pour engendrer les réactions nucléaires permettant aux étoiles d'émettre du rayonnement. Quelques corps de ce type auraient été observés en bordure de notre galaxie (par microloupe gravitationnelle ). À partir de ces observations, les astrophysiciens auraient conclu que de telles étoiles ne représenteraient que 6 % de la masse manquante de la Voie Lactée et ainsi, ne pourraient pas compter comme une composante majeure de la matière invisible. D'autres candidatures, qui semblent intéressantes au départ, ont été rapidement écartées comme celles des nuages de gaz d'hydrogène ou de poussières (pouvant être détectés aux instruments). Par contre, certaines autres, plus exotiques, semblent fort prometteuses tels les neutrinos (vestiges massifs et innombrables des supernovae), les trous noirs (dont l'existence demeure assez controversée) ou les WIMP (pour Weakly Interacting Massive Particules - elles restent encore à être détectées). Cependant, rien n'empêche la masse de l'Univers d'être constituée de corps de natures différentes.

SOURCES :
1) TUCKER, Wallace. "Evidence of Dark Matter", Astronomy, août 1994, p.40-45.
2) MATEO, Mario. "Searching for Dark Matter", Sky & Telescope, janvier 1994, p.20-24.
3) TRAVIS, John. "Massive Problem of Missing Dwarfs", Science, vol. 266, 25 novembre 1994, p.1319-1320.
4) TRAVIS, John. "On the Track of Dark Matter in Mica", Science, vol.265, 29 juillet 1994, p.607.
5) GRIBBIN, John. "Dark Stars Come Closer to Home", New Scientist, v.143, 23 juillet 1994, p.16.
6) CROSWELL, Ken. "Is Dark Matter Shadowed by Dust?", New Scientist, v 43, 27 août 1994, p.16.
7) GRIBBIN, John. "The Galaxy's Dark Secrets", New Scientist, vol.142, 9 avril 1994, p.26-29.
8) GRIBBIN, John. "Dark Matter and the Universe", New Scientist inside Science, vol.141, no.70, p.1-4 (entre p.40-41)
9) CHOWN, Marcus. "Dark Matter Is Still the Only Game in Town"; New Scientist, vol.145, 7 janvier 1995, p.16.
10) GRIBBIN, John. "Supernova Sherds Light on Cold Dark Matter", New Scientist, vol.145, 18 février 1995, p.16.
11) HECHT, Jeff. "Hubble Scientists Fail to See Red", New Scienctist, vol.144, 26 novembre 1994, p.16.
12) WYSE, Rosemary, GILMORE, Gerard. "What's the Matter?", Physiscs World, juin 1995, p.39-44.
13) FIX, John D.. Astronomy, Journey to the Cosmic Frontier, Mosby ed., 1995.
14) CHAISSON, Eric, McMILLAN, Steeve. Astronomy, a Beginner's Guide to the Universe, Prentice Hall ed., Englewood Cliffs, NJ, 1995.


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Dernière mise à jour: 18 mars 1996.

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