L'Attracteur     No. 12     Automne 2001
LA REVUE DE PHYSIQUE
ISSN: 1205-8505

Ils sont fous ces physiciens!

    La vérité s’il vous plaît ? Eh bien! il semble que pour s’en approcher, il faille oublier l'intuition physique que le monde macroscopique nous apporte. Pourquoi? Le monde ne ressemble tout simplement pas ce qu’il paraît, mais à autre chose…

    La physique quantique apparut à l’aube du XXième siècle et signifie littéralement « physique des quanta ». Tout débuta avec l’arrivée d'une nouvelle théorie de Planck, en 1900. Ce dernier réussit à expliquer le spectre d’émission de lumière par des corps chauffés à haute température. Pour y parvenir, il émit l’hypothèse que les échanges d’énergie entre la matière et la lumière ne se réalisaient que par « petits paquets » ou par quanta... En 1905, Albert Einstein reprit cette notion de « lumière quantique » et, dans le but d'expliquer l'effet photoélectrique, mit en place le concept de « lumière granuleuse » dont le « grain » d’énergie fut plus tard appelé photon. Mais comment relier une particule, le photon, à l’onde électromagnétique, la lumière? Voilà le paradoxe de la dualité onde-corpuscule. Cette étrange perception remet en cause la physique newtonienne, dite classique, et oblige les physiciennes et physiciens à concevoir une toute nouvelle entité, agissant parfois comme une particule (dans les phénomènes d'absorption et d'émission) et parfois comme une onde (dans les phénomènes de propagation). Contribuèrent aussi à la théorie quantique des physiciens tels que Bohr, de Broglie, Schrödinger, Heisenberg, Born et Dirac, ces derniers s’affairant à développer sur une base mathématique solide cette toute nouvelle vision du monde microscopique. Cette théorie, maintenant le fondement de tous les domaines de la science, permet d’expliquer tant la couleur des objets que leurs formes, la stabilité des atomes, les énergies stellaires et les structures chimiques pour ne nommer que celles-là… En plus, elle permit bon nombre d'innovations techniques tels le laser, les transistors, toute la microélectronique, etc... Malgré sa logique « farfelue », la théorie quantique résiste à tout démenti.

    Farfelue vous dites? Carrément inhabituelle, oui! Cette théorie contrecarre littéralement notre bonne vieille mécanique classique. Non seulement, déterminer avec précision la position et la vitesse d’une particule se révèle impossible, comme l’expose le principe d’incertitude d’Heisenberg, mais en plus de cela, selon leurs probabilités respectives, les particules peuvent posséder plusieurs énergies, positions et vitesses simultanément! Un peu comme suspendue entre plusieurs réalités, la particule quantique se « subdivise » selon une probabilité plus ou moins forte d’occuper un état plutôt qu’un autre… Les univers de la physique classique et de la physique quantique diffèrent complètement. Qui a déjà observé une même pomme à deux endroits à la fois ou une voiture roulant à deux vitesses concomitantes? Personne, car notre monde macroscopique obéit bel et bien aux lois classiques de la physique. Mais où se situe donc cette frontière entre le quantique et le classique? Et pourquoi les objets macroscopiques, composés de particules microscopiques obéissant aux lois quantiques, agissent-ils de manière classique? Grâce aux récents progrès technologiques, une équipe scientifique a su y répondre adéquatement.

    La théorie quantique décrit une particule par ses états, chacun représenté par un nombre complexe appelé « amplitude » qui, comme les ondes classiques, possède un module et une phase. Lors de superpositions d’états, ces amplitudes « s'additionnent » pour se renforcer ou s’annuler l’une l’autre. Ce phénomène, l’interférence, s’observe dans une expérience à double fente de Young légèrement modifiée. Les électrons émis un à un vers un panneau avec deux fentes (de largeur beaucoup plus petite que la distance les séparant) possèdent une énergie bien déterminée. En ouvrant seulement la fente 1 ou la fente 2 (voir diagramme), les impacts des électrons sur l’écran se concentrent en face des fentes. Or, avec les deux fentes ouvertes simultanément, on n’obtient pas la superposition des deux schémas précédents (en pointillé), mais bien une interférence que seule une onde aurait su générer (ligne pleine) et ceci même si un seul électron est présent à la fois dans l’appareil. Ce résultat ne s’explique que par la « transformation » de l’électron en onde. La même expérience, réalisée avec des protons, des neutrons et même des atomes, fournit des résultats identiques. Alors tout ce qu’on définissait comme étant particule peut aussi agir en tant qu’onde! Une aspirine s’il vous plait…

    Le plus étonnant dans l’expérience à double fente de Young se manifeste dès que vous placez des détecteurs près des fentes, afin de savoir par où l’électron se faufile. Alors il n’interfère plus! Placer des senseurs détruit l’interférence et l’expérience montre seulement deux accumulations distinctes d’impacts (en bleu). L’onde et la particule paraissent complémentaires et ne peuvent se révéler dans ces deux états en même temps (voir paradoxe onde–corpuscule). Einstein s’opposait fortement à cette nouvelle notion; comme si la lune n’existait réellement qu’au moment de son observation!

    « Mais comment une particule peut-elle se transformer subitement en onde? » Lors d’une mesure quantique à l’aide d’un appareil macroscopique, la transition quantique <—> classique pose un sérieux problème tel qu’illustré par le paradoxe du chat de Schrödinger. Imaginez un chat enfermé dans une boîte contenant un atome radioactif commandant un système mortel1. Dans ce système, l’atome radioactif, représenté par une superposition de deux états, appelons-les « désintégré » et « entier », active le système une fois sur deux au cours de l’expérience. Tout le système se retrouve alors dans une situation quantique où, d’un coté, l’atome radioactif s’est désintégré et le chat a trépassé et, de l’autre, l’atome demeure intact et le chat se porte bien (voir ci-bas). Or, cette situation paradoxale ne reste en superposition d’états qu’un très bref instant et s’évanouit quasi spontanément.
Onde ou corpuscule ?

Étape3.JPG (50861 octets)
Il y a superposition des états quantiques de l’atome radioactif, mais rapidement la décohérence s’effectue et…
Étape2.JPG (42108 octets)
soit le chat est mort,

50 %
Étape1.JPG (43609 octets)
soit il est toujours en vie !

50 %

    Une réduction instantanée des états se produit dès l’observation du système. Cette décision aléatoire de l’état observé respecte les probabilités, correspondant au carré des amplitudes des états. Cette description, plus connue sous le nom d’« interprétation de Copenhague », nous la devons à Bohr. Disons adieu au déterminisme classique, car désormais le résultat d’une mesure isolée s’avère aléatoire. De surcroît, l’interprétation de Copenhague stipule que lors d’une mesure, un processus de réduction, originaire de l’objet macroscopique, élimine les superpositions d’états quantiques. Le chat et le Maillet-O-Tron interrompent le cours quantique de l’histoire et, à cause de leur taille, on n’observe jamais de chat mort et vivant ou un Maillet-O-Tron activé et inactivé à la fois. N’empêche, le chat se trouve quand même dans un mélange statistique d’états et on se demande quand et comment la réduction vient y mettre son grain de sel. Il semble en effet que les relations inter-phasiques des amplitudes quantiques tendent à disparaître avec la taille des objets, simplement à cause d’un plus grand dénombrement de molécules dans un objet macroscopique que microscopique et des maintes interactions entre l’élément macroscopique et son environnement. Ce phénomène s’appelle la décohérence. Plus une particule interagit avec ce qui l’entoure, plus elle décohère rapidement (une particule complètement isolée de tout conservera à jamais ses propriétés, mais n’espérez pas en observer une, car, se faisant, vous interagissez avec elle, « l’obligeant » ainsi à choisir un état quantique).

En premier, l’ambassadeur « chat », suivi ...
    Néanmoins, le milieu scientifique a dernièrement observé la transition entre le classique et le quantique. En effet, une expérience réalisée au laboratoire Kastler Brossel de l’École Normale Supérieure, en France, en a inspiré plusieurs et a permis de suivre la transition quantique-classique, autrement dit, la décohérence (voir figures ci-bas). On a d’abord excité une particule, appelons-la « la particule chat », à l’aide d’une simple impulsion laser, afin de la placer dans un état de superposition quantique (1). On l’envoie alors se promener dans un faible champ, composé de 3 à 6 photons rebondissant entre deux miroirs ultra-réfléchissants, le tout à très basse température : ce système se nomme une cavité (2). L’atome, en traversant cette cavité, modifie la phase très sensible du champ photonique. En conséquence, les photons rebondissent selon une superposition de phases quantiques directement reliées à l’état quantique de l’intrus. Ensuite, le « chat » entre dans une autre salle d’excitation qui brouille à nouveau ses deux états maintenant analogues à la phase du champ photonique (3). Puis, on détecte l’état du « chat », qui se trouve soit dans un état quantique, disons « C1 », soit dans l’état « C2 » (4). Le champ corrélé à l’atome se place alors lui aussi soit dans une superposition ou l’autre. On envoie alors un second atome, une « souris », qu’on place aussi dans une superposition d’états, disons « S1 » et « S2 » (5). La souris arrive maintenant aux portes de la cavité, ici deux histoires peuvent survenir : soit le champ photonique est toujours en superposition quantique, soit il s’est décohéré pendant le laps de temps écoulé entre les deux visiteurs. Admettons qu’il soit toujours en superposition (6), alors la souris, déjà en superposition d’états, placera le champ en une seconde superposition, de quatre états simultanés! (7) Si, lors de son arrivée, la souris trouve le champ déjà décohéré (8), elle agira comme le chat, c’est-à-dire qu’elle placera la fréquence des « rebondissements » de photons en superposition de deux états (9). On mêle ensuite, comme pour le premier atome, les états quantiques de la souris (10) et on la détecte (11). On reproduit enfin plusieurs fois la même procédure. La distribution statistique des résultats (« chat », « souris ») possibles, c’est-à-dire : {(C1,S1), (C1,S2), (C2,S1), (C2,S2)}, révèle ainsi la nature du champ lors du passage de la souris. En sélectionnant différents intervalles de passage entre le chat et la souris, on peut évaluer le temps de décohérence des superpositions quantiques. Dans cette expérience, les physiciens utilisèrent des atomes de rubidium et notèrent un temps de décohérence d’environ 10-4 secondes. Remarquons qu’un chat (un vrai), par exemple, porte environ 1027 particules et décohèrerait en 10-31 seconde. C’est pourquoi on n’a jamais vu de chat zombie, hormis dans les films du genre « La nuit des morts vivants VIII »...
La décohérence partie I
quelques instants plus tard par l’ambassadeur « souris ».
La décohérence partie II



En haut (6,7), la superposition des deux états quantiques du chat interfèrent avec ceux de la souris produisant un mélange de quatre états dans le champ photonique.

En bas (8,9), la décohérence a produit ses effets et la cavité ne présente qu’une superposition de deux états.

    Jusqu’où pouvons-nous donc pousser la théorie quantique afin de l’utiliser dans la technologie? Les ordinateurs quantiques (voir L’Attracteur #8, L’Ordinateur de demain) pourraient s’avérer fort utiles dans les calculs d’algorithmes complexes et autres projets insoupçonnés. Cependant, un obstacle majeur nous barre la route : la décohérence. Autant elle protège le monde macroscopique des effets quantiques, autant elle élève un obstacle majeur à la réalisation des ordinateurs quantiques. Même si quelques embryons semblent prendre forme, nous devrons davantage connaître cette frontière quasi mystérieuse que dresse la physique quantique avant de pouvoir vraiment nous vanter d’avoir construit un ordinateur quantique efficace. Enfin, grâce aux récents progrès technologiques, des expériences maintenant réalisables permettent d'illuminer nos connaissances en matière quantique, chose impossible dans les années 30 et source d'une vive polémique.


Dominic Lepage      DWM

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Bibliographie
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